L’unique intérêt de cette réédition CD de ce live de 1950, c’est la présence de Giuseppe Di Stefano dans le rôle d’Almaviva qu’il a chanté une seule fois au Met à l’âge de 29 ans. Avec son timbre solaire, ses attaques franches, son irrésistible élan, son phrasé précis, le chanteur sicilien, véritable ténor di grazia, y manifeste ses dons pour un répertoire qu’il a eu bien peu d’occasions d’aborder.
Si l’on excepte le robuste et joyeux Figaro de Giuseppe Valdengo qui assume sa partie avec l’autorité et toute la verve requises et si l’on passe sur la médiocrité d’un Don Bartolo et d’un Don Basilio cabotins et lourds, on ne saurait supporter la Rosine ridicule de Lily Pons — grande star du Met à l’époque. Les applaudissements bruyants du public new-yorkais en témoignent, dès son entrée. Non seulement la voix inadéquate de soprano colorature est usée, mais la chanteuse, incapable d’exécuter les vocalises rossiniennes, ajoute force roucoulades et suraigus hors de propos. (À la fin de la fameuse cavatine « Una voce poco fa », on croit entendre l’Olympia des Contes d’Hoffmann). Quant à la Berta de Herta Glaz, voix de mezzo, en l’occurrence évidemment plus sombre que celle de Rosine, elle achève de nous laisser perplexes sur cette distribution féminine.
Dirigé par Alberto Erede, grand chef italien à la longue carrière internationale, qui vient alors d’être engagé au Met, l’orchestre ne restitue guère la malice de cette ouverture fougueuse et scintillante, pas plus qu’il ne fera d’étincelles par la suite, se contentant d’une exécution de routine, sans grâce.
Après un début assez terne servi par Fiorello et ses musiciens, la cavatine du Comte Almaviva nous enchante d’emblée avec sa longue note tenue sur « lo strai che mi feri » et son « Avanti, avanti » qui claque comme un coup de fouet. Mais, avec un couple Figaro et Almaviva de cette trempe, il est triste que la prima donna vienne rompre le charme. À l’évidence, le Met mise bien davantage sur la farce que sur la comédie de caractère : coupes sombres dans les récitatifs, ajouts d’onomatopées d’un goût douteux et même d’un « Mamma mia » tonitruant dans l’air de la calomnie ; profération de hoquets vulgaires, grognements injustifiés, rires gras… Comble d’incongruité, dans la leçon de chant du deuxième acte, — à la plus grande joie de l’auditoire — au rondeau de L’inutil precauzione « Contro un cor che accende amore » se substitue « Ah vous dirai-je maman », chanté en anglais par une Lily Pons stridente et gloussante. Nous sommes ensuite privés de la charmante complicité des amoureux en présence d’un tuteur dont la méfiance est littéralement endormie et l’enchaînement avec le « Bella voce » du ténor tombe bien mal.
La fin de l’acte est à l’avenant. « Buona sera mio signore » gâché par une Rosine chevrotante, air de sorbet de Berta clownesque, orage de fanfare, finale miaulant… La renaissance rossinienne n’est pas encore passée par là. Giuseppe, faut -il qu’on t’ait aimé pour écouter jusqu’au bout ce Barbier estropié.
Brigitte Cormier