Dynamic, dont le catalogue rossinien est d’une exceptionnelle abondance, publie simultanément deux coffrets de DVD, chacun nous offrant sept ouvrages lyriques dans leur intégralité. Le premier (« Rossini serio e semiserio ») compte 14 DVD, le second (« Rossini buffo ») seulement 9, les ouvrages légers étant plus courts.
En ces temps moroses, nous avons choisi de privilégier le second, qui nous propose la moitié des farces, opéras-bouffes et dramma giocoso. Dans l’attente que le label complète cette riche collection pour en faire une intégrale des ouvrages scéniques, on pourra tenter de trouver le coffret de Gianluigi Gelmetti, avec Michael Hampe, tourné au Festival de Schwetzingen (quatre ouvrages, dont trois ne figurent pas ici). L’essentiel nous vient du Festival Rossini de Pesaro, auquel nous devons tant de découvertes, confiées à des interprètes assez souvent proches de l’idéal. Si La Gazzetta est liégeoise, c’est à la faveur du regretté Stefano Mazzonis Di Pralafera, qui mettait en scène, tout en assurant la direction de l’Opéra Royal de Wallonie. Il Barbiere di Siviglia est vénitien, tourné à La Fenice, et La Cenerentola, à Bari. Toutes ces versions ont été diffusées sous le label Dynamic, ou Naxos.
Pesaro, nous l’avons écrit, nous offre quatre des sept ouvrages. Evidemment, l’esprit est là, servi par une équipe où l’on retrouve, d’une production à l’autre, quelques grandes voix, parfois en devenir. La jeune mezzo Josè Maria Lo Monaco y est éblouissante, le ténor Maxim Mironov, alors à ses débuts, possède déjà l’élégance des phrasés comme les qualités de timbre, même si la voix n’a pas encore gommé sa verdeur (Don Ramiro, de la Cenerentola). Les barytons, Paolo Bordogna et Bruno De Simone, se révèlent de parfaits rossiniens, Marco Vinco campe un Selim (Il Turco in Italia) exceptionnel. La cambiale di matrimonio, reprise d’une production de 1991, a bien vieilli. Les effets comiques ne sonnent jamais faux, l’amusement d’un Rossini juvénile est garanti. On croit même reconnaître le Professeur Raoult avant l’heure (mais est-ce bien lui ?) en Mister Slook. Vérification faite, c’est Fabio Maria Capitanucci… Deux ans après, la même formation, avec le même chef, mais dans une mise en scène facétieuse (Emilio Sagi), nous propose L’equivoco stravagante. L’esprit est celui de la farsa, avec ses personnages excessifs, caricaturaux et ses situations abracadabrantesques à l’effet assuré. Les chanteurs ont l’abattage attendu et le divertissement est garanti. Comme l’écrivait Brigitte Cormier, c’est osé, mais jamais vulgaire (« sans équivoque, une petite turlutte »). L’Italienne à Alger, presque toujours bien servie en CD comme en DVD, ne dépare pas. Si le Festival a renouvelé sa production depuis (avec celle de Davide Livermore en 2013), cette version n’a pas à rougir. La mise en scène de Dario Fo est d’une rare efficacité, bondissante, d’une verve extraordinaire. La distribution en est brillante, conduite par un Renzetti survolté.
Antoine Brunetto sortit « le sourire aux lèvres » de la production d’Il Turco in Italia (« Che bel Turco »), mais Jean-Philippe Thiellay a exprimé sa déception à l’écoute de ce DVD (« un Turc bien pâle »), causée par une distribution globalement passable.
Quelques mots du Barbier de La Fenice (2008). La mise en scène conventionnelle s’accorde parfaitement au cadre, mais c’est surtout la direction exigeante d’Antonio Fogliani qui fait le prix de cet enregistrement. La dynamique rossinienne ne se dément jamais, légère, vive, truculente comme poétique. Si Meli chante un Almaviva solide, le Figaro de Frontali, comme la Rosine de Rinat Shaham n’ont plus la jeunesse et la fraîcheur attendues. A retenir, l’air de la calomnie par un Furlanetto en pleine forme.
La Gazzetta, rare au disque comme en DVD, est ici présentée dans sa production liégeoise, dont la mise en scène avait été peu appréciée par Carine Seron (« Rossini façon opérette »). La qualité du chant, sinon de la direction, et la rareté de l’ouvrage – présenté ici dans son intégralité pour la première fois, méritent le détour.
La Cenerentola, étourdissante de virtuosité, est mieux servie à Bari. Les voix sont de réelle qualité. Paolo Bordogna campe un Don Magnifico complexe et toujours juste. Les deux sœurs sont superbes, mais c’est le mezzo colorature de Josè Maria Lo Monaco qui emporte tous les suffrages. Le timbre, l’agilité, l’égalité dans un ambitus de plus de deux octaves, tout est là. Le quintette du I et le sextuor du II sont admirables. La mise en scène de Daniele Abbado (fils de Claudio), sobre, retenue, nous réserve bien des surprises. Quant à la direction, attentive, elle confère toute son élégance et son dynamisme à la partition. Une belle réalisation.
Au total, des productions variées, avec des mises en scène qui vont du conventionnel à la transposition aux années 60 (La Cenerentola), d’un bon niveau jusqu’à l’excellence (Il Barbiere di Siviglia). Tous les chefs, à l’exception de Jan Schultsz dans La Gazetta, sont des rossiniens aguerris. Les distributions, inégales, réservent d’excellentes surprises.
Ce coffret, à tout petit prix, qui permet de savourer des chefs-d’œuvre, mais surtout de découvrir des ouvrages rares, mérite d’être acquis, particulièrement en ces jours avares de gourmandise, d’ivresse, de folle euphorie. Qui, mieux que Rossini sait nous donner ce plaisir où l’émotion se mêle au rire débridé ? Rien de tel pour ces temps moroses.
PS : les sous-titrages justifient l’absence des livrets, qui sont à chercher sur le net ou dans les numéros que l’Avant-Scène Opéra a consacrés aux plus connus des ouvrages.