Osera-t-on l’affirmer ? Voilà une œuvre dont l’histoire vaut mieux que la partition.
En 1816, le poète italien Giambattista Giusti (1758-1829), préoccupé de tragédie antique, demande à Rossini de mettre en musique sa traduction du dernier volet de la trilogie œdipienne de Sophocle : Œdipe à Colone. Le compositeur, alors au faîte de sa gloire italienne, écrit sur un coin de table les parties de basse et chœur masculin puis, désireux de classer l’affaire, confie à un confrère, demeuré anonyme, le soin d’achever l’ouvrage, vraisemblablement sous sa supervision. On ignore tout de la création de la pièce en 1817. Du manuscrit vendu en 1840, l’éditeur parisien Masset tire trois chœurs religieux dans le goût français de l’époque : La Foi, L’Espérance et La Charité. Il faut ensuite attendre 1982 pour que Edipo a Colono soit intégralement joué à Pesaro dans le cadre d’une représentation de la tragédie de Sophocle, conformément à la volonté initiale de Giusti.
Repris ensuite deux fois par le Rossini Opera Festival dans un contexte différent – couplé avec La cambiale di matrimonio en 1995 puis avec Le nozze di Teti, e di Peleo en 2007 –, l’ouvrage formait l’an passé au Teatro Rossini le plat de résistance d’un concert de Nahuel Di Pierro, enregistré et diffusé aujourd’hui par Audax Records. Ce label, fondé en 2013, s’est donné pour objectif premier d’enrichir le paysage musical avec des enregistrements d’œuvres peu connues ou inédites autour d’un compositeur, d’une époque ou d’un genre musical, dans le cas présent la musique de scène, conçue pour accompagner au théâtre le jeu des acteurs à la manière d’une bande-son.
Le peu d’exemple de ce genre musical en Italie, supplanté par l’opéra, fait aussi l’intérêt d’une œuvre qui s’écoute sans déplaisir mais sans excès d’enthousiasme. En cause, la partition à moitié apocryphe – on l’a dit –, d’inspiration mélodique modeste et dénuée de la virtuosité qui stimule souvent la musique de Rossini. En cause aussi, dans une moindre mesure, le geste retenu de Fabrizio Ruggero à la direction d’orchestre. Ni le Filarmonica Gioachino Rossini, ni le Coro del Teatro della Fortuna ne disposent de l’éloquence rendue encore plus nécessaire par les faiblesses de l’ouvrage. D’un tissu musical désuni se détache la voix de Nahuel Di Pierro dont la maîtrise du style rend notable la filiation entre Edipo a Colono et Mosé in Egitto, opéra créé un an plus tard, dans lequel Rossini mettra à profit l’usage des chœurs et de la voix de basse. A ce titre, et en l’absence d’autre version discographique disponible*, cet enregistrement mérite une attention particulière.
* la version d'Edipo a Colono enregistrée par Claudio Scimone à la fin des années 1970 n'est plus commercialisée