Avec Rune, son quatrième fashion-opera (mais troisième enregistré), Alastair White signe une partition et un livret sensibles servis par une interprétation engagée. Les fashion-opera tendent à proposer une nouvelle forme artistique, plus totale, plus immersive, chargée de sens et vectrice de liens. L’enregistrement de la première à Hackney Round Chapel, proposé par le label Métier (Divine Art Recordings Group), ne donne évidemment qu’une vue parcellaire de l’ambition totale que revêt le fashion-opera : la première était aussi l’occasion du lancement d’une collection capsule de la maison londonienne Ka Wa Key et de la performance de quatre danseurs contemporains en interaction avec une sculpture de Sid the Salmon. La pochette de l’album laisse à cet égard entrevoir des personnes encore humaines mais déjà un peu fantastiques : sortes d’oiseaux exotiques, multicolores et séducteurs, affranchis de toute contrainte de genre.
À mi-chemin entre la fantasy et la dystopie, sur une planète où l’histoire est interdite, une jeune fille ose raconter le passé. Voyage à travers les millénaires et les galaxies, son histoire est un récit qui l’emmène des archipels de Khye-Rell aux Runes des origines de l’univers, empruntant voies maritimes et canaux transdimensionnels…
Articulée en un prologue et trois parties, la partition offre une relative simplicité où la récurrence de larges intervalles à la voix de soprano (voix de la quête et de la transgression) contraste avec la ligne stable et dirigée de la voix de mezzo (voix du lieu, de la règle ou encore du récit fondateur – en d’autres termes, voix de la constance et des vérités non questionnées). Sous la direction de Ben Smith, trois pianos forment l’instrumentation. Malgré la nécessaire uniformité du timbre des instruments, Ben Smith (qui, en plus de diriger, tient l’un des claviers), Siwan Rhys et Joseph Havlat parviennent à créer des univers sonores contrastés en utilisant toutes les ressources de l’instrument (en ce compris d’autres éléments que le clavier…). Patricia Auchterlonie est une Kes’Cha’Au tourmentée qui dompte adroitement une partition vocalement exigeante. Les sauts d’intervalles difficiles de sa partie mobilisent les deux extrêmes de sa tessiture, en particulier les suraigus qui, bien que parfois un peu coincés (ce qui, stylistiquement, n’est toutefois pas sans intérêt), sont toujours parfaitement justes. La Khye-Rell de Simone Ibbet-Brown sert une ligne musicale relativement linéaire par un timbre chaud et une belle rondeur.
S’il est certain que le disque n’offre qu’une des facette du grand show que doit être le fashion-opera (on aimerait assister à une performance live !), il constitue une belle porte d’entrée dans l’univers musical d’Alastair White dont la production demeure encore (trop) confidentielle dans le monde musical francophone.