Saimir Pirgu fait une très belle carrière : du Requiem de Verdi donné récemment à la Philharmonie de Paris au Roi Roger de Szymanowski capté à Londres, sans oublier les Rigoletto de Toulouse et de Zurich, le ténor albanais gravit petit à petit les échelons de la gloire, fort de l’adoubement d’un Placido Domingo qui ne tarit pas d’éloge à son égard. Nouvelle étape dans ce « cursus honorum » : un premier album solo, avec un orchestre réputé (celui du Mai Musical Florentin) et une présentation soignée, incluant tous les textes chantés.
Les atouts du chanteur sont nombreux. A commencer par un timbre reconnaissable immédiatement ; à l’heure où tant de jeunes artistes alignent des organes aussi jolis qu’interchangeables, c’est une joie d’entendre un ténor avec un grain aussi original, identifiable après quelques mesures. Pour définir cette voix, on dira qu’elle mêle harmonieusement le métal et la souplesse, comme un certain … Domingo, en tous cas à ses débuts.
Deuxième force : la versatilité. Saimir Pirgu paraît presque aussi à l’aise dans le français de Werther et de Faust que dans l’italien de La Bohême et de Simon Boccanegra. Les consonnes sont claires, les voyelles bien différenciées, et tout cela nous change de la bouillie pour chats servies par les chanteurs de l’actuel circuit international. Ce n’est pas qu’une question de prononciation : Saimir Pirgu a également bien intégré les différences stylistiques entre les écoles, et son approche de l’opéra français prend en compte le rapport entre le texte et la musique, si différent du répertoire italien.
Ultime force de cet album : la parfaite symbiose entre la voix et l’accompagnement. On est heureux de retrouver au disque l’orchestre du Mai Musical Florentin, après bien des déboires. Spécialisés dans l’opéra et forts d’une tradition qui remonte à 1933, les instrumentistes savent respirer avec un chanteur, et tirer les timbres vers une fusion totale avec la voix. La clarinette dans « Ah la paterna mano » de Macbeth ou les cors de « Fra poco a me ricovero » dans Lucia ne sont que deux exemples parmi beaucoup d’autres. La jeune Speranza Scapucci montre des qualités de dramatisme et de relance qui devraient lui permettre d’accéder rapidement à une plus grande notoriété.
Tout est-il donc parfait dans ce disque ? Non, le bât blesse à un seul endroit, mais il est névralgique pour les ténors : l’aigu. Malgré le fait que les prises soient réalisées en studio et tout le soutien prodigué par la Maestra, la voix s’étrangle dès qu’elle dépasse le haut médium, l’effort devient trop audible, et la note se transforme parfois en cri, rendant certains airs éprouvants pour l’auditeur encore plus que pour le chanteur. Certes, les sons finissent par arriver, mais à quel prix ! Dommage, mais on se gardera de juger trop vite … La conquête de l’aigu est pour de nombreux ténors l’œuvre de toute une vie, et Saimir Pirgu n’a encore que 35 ans. Rendez-vous donc à la prochaine parution pour savoir si notre jeune Albanais a arraché son Graal.