Ne cherchez pas : il n’y eut entre 1950 et 1990 qu’un seul grand ténor francophone apte à assumer les grands rôles du répertoire, et Alain Vanzo aurait été parfaitement de taille à rivaliser avec tant de noms aujourd’hui bien connus de tous les mélomanes. Si les responsables d’EMI n’avaient pas porté les œillères qui leur interdisaient d’entendre dans les œuvres françaises un autre interprète que Nicolaï Gedda, c’est Vanzo qui aurait dû graver toutes ces versions devenues des références. Hélas pour le ténor monégasque, il était déjà un peu tard quand les studios daignèrent s’intéresser à lui, et les quelques intégrales des années 1970-80 (Mignon, Les Pêcheurs de perles, les Offenbach avec Plasson ou Lombard) ne reflètent pas ce qu’il fut à sa grande époque. Heureusement, le CD aujourd’hui proposé par Malibran vient en partie réparer cette honteuse lacune, en nous donnant à entendre Alain Vanzo au tout début de sa carrière : le disque ne précise aucune des dates où furent gravées les diverses plages, hormis pour son tout premier 45 tours, chez Decca, réunissant le Chant du départ de Méhul et cette extraordinaire scie cocardière qu’est « Le Rêve passe » (1906). Pour le reste, il s’agit vraisemblablement d’extraits de concerts radiodiffusés, qui se situent entre 1956, où il triompha en Duc de Mantoue à Garnier, et 1962, soit bien avant qu’il aborde Werther à la scène en 1968, bien avant qu’il alterne avec Rockwell Blake dans Robert le diable en 1985.
De Grétry à Massenet en passant par les opéras composés par Verdi pour la grande boutique, c’est bien à un florilège de l’opéra français que ce disque nous convie. Avec un peu de chance, le parcours aurait même pu commencer avant, puisqu’Alain Vanzo fut Tacmas et Damon dans Les Indes galantes montées par Maurice Lehmann à l’opéra de Paris au début des années 1950. Avec cette émission naturellement haute, quel interprète il aurait pu être chez Rameau, ou même chez Lully, si l’époque s’y était prêtée ! Si l’air du roi dans Richard Cœur de Lion pâtit un peu de la lourdeur de l’orchestre, on s’incline devant la noblesse du ton. Chronologiquement, on passe ensuite à Benvenuto Cellini, dont l’intégrale donnée à la radio en 1969 a été publié par divers labels : on mesure toute l’adéquation de Vanzo avec les rôles de Duprez, et l’on regrette d’autant plus que les temps n’aient pas été mûrs pour une véritable réhabilitation de Meyerbeer, dont il aurait été le porte-drapeau. Les Verdi en français laissent rêveurs quant aux versions qu’il aurait pu donner de la partition originale de ces opéras qu’on n’imaginait alors pas autrement que dans leur traduction italienne.
Mais le vrai miracle arrive avec les héros des années 1850 à 1880, avec ces Gounod inimitables. Le Faust, le Roméo d’Alain Vanzo sont des prodiges de délicatesse amoureuse, sans vaillance déplacée, avec une candeur qui font de ces personnages les frères en innocence des donzelles qu’ils idolâtrent et idéalisent. Ecoutez l’aigu qui conclut « Salut, demeure chaste et pure », puissant, vibrant, un peu flotté sur la fin diminuendo. De la vaillance, il y en a en revanche comme il se doit lorsque Roméo arrive au tombeau, ou quand Vincent chante « Anges du paradis ». Dans Bizet, Vanzo triomphe également, sans avoir le moins du monde besoin de tricher pour la romance de Nadir qu’on croirait écrite pour lui, avec les dernières notes émises en voix naturelle, sans recourir à l’artifice du falsetto. En entendant son aubade d’Henri Smith, on en viendrait à croire que La Jolie Fille de Perth est un opéra de premier plan.
Mylio était aussi un rôle fait pour lui ; quant à son Gérald au raffinement infini, on sait qu’il domine de très haut la discographie de Lakmé, on y reviendra bientôt, Malibran diffusant également une intégrale du chef-d’œuvre de Delibes. Et comme il l’explique dans l’interview de 1982 qui figure sur ce disque, c’est parce qu’il eut la sagesse de limiter son répertoire aux rôles qui convenaient à sa voix qu’Alain Vanzo reste un tel modèle dans ces œuvres. S’il fut d’emblée un Des Grieux, rôle auquel il apportait toutes les subtilités dont il était capable (ces soufflets extraodinaires sur les onomatopées de « Ah, fuyez, douce image » !), il ne fut Werther que bien plus tard, sans qu’aucun grand label ne songe à lui faire enregistrer ce rôle où il aurait été incontestablement supérieur à un Alfredo Kraus qu’on présentait à tort comme la référence. Le disque Malibran se conclut sur une note souriante, avec la chanson d’Alain Barrière « Elle était si jolie », ici gratifiée d’une orchestration délicieusement kitsch, mais couronnée d’un aigu long et magnifique, là encore.