Bien qu’il ait formé avec Joan Sutherland un couple à toute épreuve, à la scène comme à la ville, Richard Bonynge n’a pas renoncé à la musique lorsque son épouse a cessé de chanter (ou de vivre). Depuis plusieurs années, le chef australien poursuit mordicus son activité de grand résurrecteur de partitions, comme en témoignent divers disques chroniqués ici-même. Dans sa démarche, il dispose d’une alliée de choix : la soprano Sally Silver, présente dans pratiquement tous ses enregistrements récents. Outre les disques de mélodies de Massenet, où il accompagne au piano ladite Sally Silver, Richard Bonynge dirige encore l’orchestre pour des intégrales d’œuvres lyriques de compositeurs anglais du milieu du XIXe siècle, continent à peu près aussi inconnu du mélomane français que son Australie natale pour les Européens quelques centaines d’années auparavant. Après avoir consacré ses efforts à William Wallace (Lurline, Maritana), le label Naxos se tourne à présent vers un autre Irlandais, William Michael Balfe (1808-1870), surtout connu pour The Bohemian Girl et son tube « When other lips », œuvre que Richard Bonynge avait enregistrée pour Decca en 1991.
Opéra-comique créé en 1858, Satanella s’inscrit néanmoins dans une veine fantastique inaugurée plusieurs décennies auparavant dans le monde lyrique, au moins depuis Robert le Diable pour ne pas remonter plus loin en arrière. Pour cet enregistrement, Richard Bonynge s’est plongé dans les différentes versions existantes et, pour éviter l’indigestion signalée pour Lurline par notre collègue Placido Carrerrotti, il n’a pas retenu les numéros coupés par Balfe après la première, d’où une durée raisonnable pour une musique certes charmante mais qui ne présente pas toujours un intérêt extrême, à l’écoute seule. Lorsqu’on aborde le premier disque, on craint d’abord le pire : après une ouverture marquée par des cors menaçants à souhait, on entre dans une gentille opérette, avec joyeux chœur introductif et chants un peu insipides des jeunes amoureux. Heureusement, les choses s’arrangent dès que les personnages diaboliques entrent en scène. Dans ses meilleurs moments, Balfe se rapproche du Verdi de jeunesse, du temps où les plus nobles sentiments pouvaient s’exprimer sur des rythmes de danses de salon, notamment dans le beau duo du début du troisième acte, réunissant la diablesse Satanella (soprano colorature) et le roi des démons Arimanes (baryton). Naturellement, les airs les plus réussis sont dévolus à ladite Satanella, où la virtuosité est loin d’exclure l’émotion ; dans la veine de la romance suave, on retiendra particulièrement « Oh ! would she but name », la romance chantée au premier acte par le serviteur Karl.
Désormais bien connue des amateurs de mélodies de Massenet, Sally Silver a la voix du rôle et campe une Satanella de haute volée, jusque dans l’extrême aigu qu’exige la partition. L’autre personnage féminin principal, Leila, est bien différencié par la voix plus sombre de Catherine Carby. Parmi les hommes, c’est surtout le baryton-basse Trevor Bowes qui s’impose dans le personnage maléfique d’Arimanes. Rupert, le jeune premier, est un Kang Wang malheureusement assez engorgé dans l’aigu, mais le rôle est exigeant, il faut le dire à sa décharge. De son timbre de baryton ténorisant, Anthony Gregory prête, lui, une grande séduction à Karl. Quentin Hayes compose un Hortensius doté de toutes les inflexions attendues du tuteur malfaisant. Les personnages secondaires assurent très dignement leurs fonctions. Malgré tout leur entrain et leur souci de bien faire, les John Powell Singers donnent la très nette impression d’être un chœur composé d’amateurs, ce qui s’entend inévitablement ; le Victorian Opera Orchestra livre en revanche une prestation sans reproche.