Parmi la très abondante production de Schubert pour la voix, l’important corpus des duos, trios et quatuors (sans parler des chœurs) cède généralement le pas devant les lieder pour une seule voix (avec accompagnement de piano) qui comptent, certes, ses plus grands chefs-d’œuvre. De la même façon, dans sa littérature pour le piano, on néglige souvent maintes pièces au caractère de musique de salon – les allemands parlent de « Gesellschaftsmusik » – danses allemandes, valses, œuvres pour piano à quatre mains etc… C’est sans compter la très grande diversité de ce répertoire qui, à côté de pièces effectivement mineures ou d’inspiration un peu triviale, comporte quelques pages délicieusement inspirées et très soigneusement composées, que Schubert destinait aux soirées qu’il passait entre amis, dans les salons ou les tavernes viennoises. Lui même tenait généralement la partie de piano, et ses complices, professionnels ou amateurs éclairés, interprétaient à vue les manuscrits qu’il avait produits la nuit précédente ou le jour même.
C’est manifestement cet esprit de quasi improvisation, de musique partagée dans l’instant, sans souci du lendemain, que tente de reconstituer l’enregistrement que propose ici Harmonia Mundi sous le titre Licht un Liebe (Lumière et Amour) emprunté au poète Matthäus Kasimir von Collin. Le propos peut sembler judicieux, et le disque comporte en effet quelques pages qu’on est heureux de découvrir. Ainsi, par exemple le délicieux Unterscheidung, sur un texte de Seidl, ou l’émouvant Lieder der Delphine, consacré aux troubles de l’amour.
Mais alors, pourquoi avoir retenu aussi, puisant dans l’abondant répertoire que laisse Schubert dans ce domaine, quelques pièces d’inspiration religieuse, qui ressortent clairement d’une autre veine ? Et que vient faire ici cette dérisoire petite cantate de mariage (Der Hochzeitbraten) sans grand intérêt musical, racontant par le menu le braconnage d’un malheureux lièvre ? C’est probablement ce manque de cohérence dans le choix des œuvres qui gène le plus lorsqu’on écoute le disque d’un bout à l’autre et qui fait que, globalement, la proposition ne séduit pas.
L’interprétation, quant à elle, est plutôt satisfaisante. Des quatre chanteurs, les deux voix supérieures (soprano et ténor) dominent les deux autres et déterminent ensemble le caractère et la couleur du quatuor. Le souci constant du texte et de sa prononciation, la grande souplesse de la ligne musicale, la parfaite justesse, la communion d’intention avec le pianiste sont autant de qualités présentes tout au long de l’enregistrement, et qui témoignent du haut niveau d’exigence de l’ensemble de l’équipe. Il y manque peut-être un brin de désinvolture, de personnalité, un je ne sais quoi de laisser aller typiquement viennois, pas toujours facile à produire en groupe, pour emporter l’adhésion. Il manque surtout une force de conviction pour donner du cœur à un répertoire trop disparate.
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