Ferions-nous encore l’affront à nos lecteurs de présenter Christian Gerhaher ? Interviewé par Sonia Hossein-Pour en mars dernier, le baryton allemand s’est fait une carte de visite dans le monde entier pour ses interprétations de la musique romantique allemande, tant et si bien que de plus amples présentations seraient superflues. Dans cet enregistrement, nous le retrouvons donc dans ce qu’il sait faire de mieux : du Schubert, accompagné de son fidèle partenaire de scène Gerold Huber.
En gravant pour la deuxième fois cette Belle meunière, Gerhaher s’inscrit dans un hommage à son modèle et professeur Dietrich Fischer-Dieskau, car il lui reprend l’idée d’intégrer sous forme de récitation les cinq poèmes omis par Schubert lors de la mise en musique. Si l’initiative est louable, on constate hélas que la poésie de Müller se porte moins bien toute seule qu’avec le concours de Schubert. Un épilogue était-il vraiment nécessaire après « Des Baches Wiegenlied » ? Concentrons-nous donc en premier lieu sur la musique.
Fort de sa connaissance presque sans pareille du répertoire germanique, le baryton souligne avec soin chaque détail d’écriture de Schubert. Il ne s’agit cependant pas d’une mise en valeur grossière, mais bien d’éclairages précis, économes mais d’autant plus efficaces. Les reprises de « Das Wandern » possèdent chacune leur univers, et l’on regrette déjà que le pianiste n’en fasse pas autant.
De manière générale, c’est avant tout dans les numéros plus lents que s’installent les réels moments de grâce. L’émission douce mais tendue, parfois sans vibrato du baryton sied à merveille au lyrisme étouffé de « Die liebe Farbe », ou à l’aridité de « Trockne Blumen ». Quant à « Des Baches Wiegenlied », il s’agit tout simplement de l’une des meilleures propositions du répertoire.
A l’inverse, c’est dans les lieder plus agités que pointe la faiblesse (car il en faut une). Souhaitant probablement conserver la nuance forte pour les mesures exceptionnelles du cycle (le diptyque « Der Jäger » et « Eifersucht und Stolz »), quelques numéros pêchent par un lissage trop prononcé, alors qu’un peu de relief aurait été bienvenu (notamment « Ungeduld » ou encore « Mein! »). Mais Gerhaher n’est peut être pas le seul responsable de ce léger manque d’élan, qu’il compense en projetant tout ce qu’il peut de consonnes (des « r » délicieusement roulés). Le jeu fin et équilibré de Gerold Huber, modèle d’écoute et d’entente avec son partenaire, gagnerait à s’animer davantage dans les pages les plus tourmentées, quitte à y faire passer le piano au premier plan. Ici, la meunière est déjà jolie, il lui manque de encore du relief pour qu’elle devienne belle.
En résumé, un témoignage d’une collaboration exemplaire de deux artistes, auquel il ne manque qu’un rien d’élan pour atteindre la première marche du panthéon discographique schubertien.