Deux œuvres rares encadrant une cantate de Bach, révisée par Schumann, voilà qui constitue un programme original et alléchant. Pour n’être pas des chefs d’œuvre, les deux pièces originales méritent d’être connues, particulièrement l’Adventlied, dont c’est le premier enregistrement..
La Ballade von Pagen und der Königstochter [ballade du page et de la fille du roi] fait partie des quatre ballades chorales, genre que croit inventer Schumann : ni drame, ni épopée, sorte d’amplification du lied, opéra sans décors, où se succèdent récitatifs, soli, ensembles, chœurs et pages orchestrales. Moins naïf et fade que le Pèlerinage de la rose, cet ouvrage, d’après Geibel, relève d’un fantastique sentimental, à mi-distance entre E.T.A. Hoffmann et l’horreur macabre, qui ne doit pas être étrangère à la pathologie du compositeur. L’expression lyrique en est constante, mais l’écriture pour le théâtre ne fut pas le fort de Schumann. Le choix de confier aux solistes les rôles de narrateurs et d’acteurs surprend, altérant la lisibilité de l’oeuvre. Cependant, la partie conclusive, la plus ample « Die Säle funkeln im Königsschloss » [Les salles du château royal étincellent] est une page particulièrement réussie, avec de beaux moments dramatiques, qui fait penser plus d’une fois au Freischütz, pour sa vigueur et ses couleurs. L’Adventlied [Cantique de l’Avent], sur un texte de Rückert, pourrait illustrer les préoccupations des esprits de 1848 : l’éthique, la religion, l’humanisme, la liberté, l’appel à la fraternité universelle en sont la marque. Sorte de synthèse spirituelle et musicale de l’art du dernier Schumann, aux accents haendeliens, assortis de chromatismes « modernes » , son lyrisme est indéniable. Le souffle grandiose de la musique des quatre derniers vers de Rückert « Und lösch’ der Zwietracht Glimmen… » rejoint celui du finale de la IXe de Beethoven, d’autant que le message appartient à la même veine que celui de Schiller.
Jamais Schumann ne fit mystère de sa vénération pour Mendelssohn. La réécriture de la cantate Herr, gehe nicht ins Gericht de Bach s’inscrit dans cette influence comme dans la redécouverte de l’œuvre du Cantor. Cette version, due à Schumann, surprend à plus d’un titre. Moins par les effectifs engagés, surabondants, par la substitution de la clarinette au hautbois (dans l’aria de soprano), voulus par le compositeur, que par les choix interprétatifs. L’adagio qui introduit le chœur d’ouverture est pris andante et perd quelque peu son caractère tourmenté, le rythme obstiné de l’aria de soprane devient frémissement, tout comme les doubles croches des premières mesures du choral. Quant à celui du ténor « Kann ich nur Jesum mir zum Freude machen », où Werner Güra excelle, son caractère dansant, joyeux est plombé par un tempo pesant et un orchestre terne. La lecture est lisse, d’une expression faible là où on attendait qu’un romantique force le trait. C’est d’autant plus dommage que les solistes y sont remarquables.
La musique de Schumann – «une immense Sehnsucht [aspiration, nostalgie] inassouvie » (Victor Basch) – est servie par d’excellents interprètes, pleinement engagés, conduits par Aaapo Häkkinen. Ce dernier donne aux chœurs et à l’orchestre une qualité expressive où la force n’est jamais pesante, avec des couleurs et une lumière qui font trop souvent défaut à Schumann. On connaît l’excellence des formations chorales des pays baltes, le Chœur philharmonique de chambre d’Estonie ne déroge pas. Carolyn Sampson, familière du baroque, montre ici combien le répertoire romantique lui sied. Le contre-ténor Benno Schachter, comme les autres solistes, s’y montre sous son meilleur jour.
La plaquette d’accompagnement, bilingue (allemand-anglais), sérieusement documentée, comporte les textes chantés et leur traduction.