Lors de son précédent album, nous chantions déjà les mérites du jeune ténor Mauro Peter dont la carrière semble mener bon train. Etre membre de la troupe de l’Opéra de Zürich n’empêche pas le chanteur suisse de consacrer une part importante de son temps au lied. Son enregistrement des Goethe-Lieder de Schubert nous avait donc comblé et nous souhaitions que sa collaboration au disque avec Helmut Deutsch se multiplie. Nous en rêvions, ils l’ont fait. Voici que sort toujours chez Sony un deuxième programme consacré exclusivement cette fois à Schumann.
Pierre d’angle de ce récital et cheval de bataille de tous les ténors mozartiens, on attend beaucoup de Dichterliebe. Mauro Peter nous rappelle dans le livret que c’est avec celui-ci qu’il a fait ses débuts au Musikverein de Vienne. Pour lui, chaque jeune ténor doit se confronter à cette pièce, malgré la quantité d’enregistrements de qualité déjà disponibles. Et en ce qui le concerne, sa musicalité n’a rien à envier à personne. Outre une clarté du texte irréprochable, le musicien comprend très bien ce que Schumann attend de lui dans ce cycle, si bien que toutes les pages les plus emblématiques sont de grandes réussites (Im wunderschönen Monat Mai, Hör ich das Liedchen klingen ou encore Am leuchtenden Sommermorgen). Quelques réserves restent à émettre pour les pièces sollicitant le registre grave de manière plus intensive: Ich grolle nicht, Das ist ein Flöten und Geigen ou encore Die alten bösen Lieder. Ne disposant pas encore de la puissance nécessaire, les graves sonnent un peu écrasés et on sent le chanteur presque couvert par le piano pourtant attentif de Deutsch. Mauro Peter, conscient de ce manque, a tout à fait raison de se servir de sa prononciation pour pallier ses limites de projection. Peut-être aussi que certains aigus manquent encore de couleur, mais l’ensemble de la tessiture est très homogène, et c’est un véritable plaisir de l’entendre livrer une interprétation très nuancée de ce formidable cycle.
Les autres pièces ne manquent pas non plus de nous réjouir. Le cycle des Lieder op. 40 est certes moins poignant que le précédent, mais chacun y trouvera son compte de romantisme allemand, surtout dans un émouvant Der Soldat. Les pièces éparses qui complètent l’album sont bien choisies puisque l’on y retrouve les mêmes thématiques que dans les deux grands cycles du programme. Louons particulièrement Der arme Peter à la narration bien sentie et une intéressante Tragödie où l’interprétation discrète mais efficace de la soprano Nikola Hillebrand n’y est pas pour rien. Belsazar est bien mené mais ici encore, on sent des moyens insuffisants.
Une nouvelle fois, l’interprétation de Helmut Deutsch vaut à elle seule le voyage. Outre ses moyens pianistiques lui permettant de véritables coups de poing dramatiques (Der Soldat ou encore la fin de Und wüßten’s die Blumen, die kleinen), le musicien comprend le langage harmonique de Schumann comme personne et nous livre une interprétation stupéfiante dans de nombreuses pièces. Le décalage rythmique et harmonique de la fin de Hör ich das Liedchen klingen est ainsi d’une incroyable modernité. Idem pour la progression harmonique de la fin de Am leuchtenden Sommermorgen tandis que l’ultime expansion du piano dans Die alten bösen Lieder est d’une simplicité à faire pleurer les pierres. Vraiment, Helmut Deutsch est très probablement le meilleur interprète de Lieder vivant.
Malgré les quelques réserves sur les extrémités du registre du ténor, on sent une véritable symbiose s’installer au fur et à mesure des enregistrement et des concerts, qui annonce encore de très belles choses à venir.