Même si ses versions allemandes des opéras de Janáček n’ont plus vraiment cours, sans doute faut-il être reconnaissant à Max Brod d’avoir fait subir le même sort à Schwanda le joueur de cornemuse. Sans cette traduction, la méga-opérette à la tchèque de Jaromir Weinberger (1896-1967) aurait-elle connu le même succès planétaire ? Probablement pas. Bien avant de soupçonner qu’il fuirait l’Europe, en tant que Juif, et surtout d’imaginer qu’il finirait par se suicider dans son pays d’adoption, les Etats-Unis, Weinberger triompha dans l’entre-deux-guerres grâce à son premier opéra, écrit en 1926. Très vite après sa création à Prague en version orginale, Švanda dudák s’exporta en allemand à Breslau, à Berlin, à Vienne, à New York et à Londres – Paris semble avoir échappé à cet engouement. Trois autres opéras allaient suivre, dont Wallenstein , ainsi que quelques opérettes, mais Weinberger reste pour la postérité l’homme d’une seule œuvre lyrique, qu’on a pu voir au festival de Wexford en 2003, à Dresde en 2012 ou à Palerme en 2014, en tchèque dans les deux cas. La plupart des enregistrements disponibles sont cependant des captations sur le vif, en allemand ou en anglais, voire en italien.
Lancé dans une grande série de rééditions, Sony a eu la bonne idée de reproposer ce qui est à peut-être à l’heure actuelle la seule version de studio de Schwanda (pour la – seule ? – version en tchèque, on se tournera vers le live de Wexford, publié chez Naxos). Si l’on consent à fermer les yeux, ou les oreilles, sur ce gros détail qu’est la traduction par Max Brod, il faut reconnaître que cet enregistrement est assez difficilement surpassable, compte tenu de la qualité des interprètes réunis. L’œuvre n’est pas inoubliable, mais elle contient beaucoup de belle musique, et Weinberger avait un certain talent d’orchestrateur. Le livret, inspiré d’un conte populaire, est d’une naïveté cocasse, avec ses personnages de reine, de magicien, jusqu’au diable en personne, auxquels s’ajoutent, au premier plan, le cornemuseux qui semble avoir bel et bien existé au XVIIe siècle, et Babinsky, sorte de Robin des Bois lui aussi historiquement attesté.
A la fin des années 1970, quand cette intégrale fut décidée, on réunit tout simplement quelques-uns des meilleurs chanteurs du monde germanophone. Hermann Prey était au sommet de sa gloire, et l’on pourrait presque trouver qu’il est sous-employé dans le rôle-titre. Siegfried Jerusalem se produisait à Bayreuth depuis quelques années mais il n’avait pas encore abordé les rôles plus exigeants qui allaient peser lourdement sur son évolution vocale ; le timbre n’était pas le plus séduisant qui soit, mais l’élan de l’interprète fait passer beaucoup de choses. Quant à Lucia Popp, troisième pilier de la distribution, on enrage à l’idée que la soprano slovaque aurait parfaitement pu chanter la partition telle que Weinberger l’avait écrite, mais les grands labels lui donnèrent si peu l’occasion d’enregistrer dans la langue de son pays natal… Elle est le rayon de soleil de cette œuvre. A leurs côtés, trois autres personnages un peu moins présents, mais confiés, là aussi, à des « pointures » : Gwendolyn Killebrew était alors Waltraute à Bayreuth, ce qui dispense d’en dire plus long, Siegmund Nimsgern serait bientôt Wotan sur cette même Colline sacrée, et le baryton Alexander Malta participa à la même époque à de nombreux enregistrements, sous la baguette de chefs comme Karajan, Dohnanyi ou Kubelik.
Chef polyvalent, Heinz Wallberg s’illustra notamment dans l’opérette : si Schwanda le joueur de cornemuse est chanté d’un bout à l’autre, et n’est donc même pas un opéra-comique, mais bien un opéra, l’œuvre mêle des formes savantes à d’autres plus proches de la musique populaire (ainsi que l’illustre l’extrait le plus souvent joué en concert, la « Polka et fugue »).
Avec l’orchestre de la radio de Munich, on avait là aussi placé la barre assez haut. Que vienne maintenant une nouvelle génération de grands chanteurs tchèques, et l’on verra peut-être arriver une version apte à concurrence celle-ci. Ou au moins un DVD permettant de mieux juger de la validité scénique de l’œuvre (la production de Dresde avait l’air assez réussie, autant que l’on puisse en juger d’après la bande annonce visible sur YouTube).