Conçu dans le cadre des Séminaires Internationaux de Musique Baroque de Sacile et réalisé en septembre 2014, ce disque entend donner un coup de pouce à la carrière de jeunes chanteuses réunies autour de Sara Mingardo qui en a établi le programme. Elle s’est peut-être souvenue de sa participation au premier enregistrement du Concert d’Astrée pour lequel Emmanuelle Haïm avait, il y a une quinzaine d’années, réuni une dizaine d’artistes en vue dans un bouquet de duos arcadiens de Haendel (Virgin Classics), Natalie Dessay ouvrant le bal avec Véronique Gens quand Sara Mingardo se joignait à Laura Claycomb sur Tanti strali al sen mi scocchi et Sono liete, fortunate. Produit de l’évolution du madrigal à trois voix et du développement de la cantate soliste avec basse continue, le duo de chambre connut son âge d’or dans le dernier tiers du XVIIe siècle et le premier tiers du XVIIIe. Les sept pièces présentées ici appartiennent à cette période particulièrement féconde où s’illustrèrent notamment Steffani, Lotti et Bononcini. Ce répertoire offre une alternative originale au traditionnel récital carte de visite qu’un éditeur n’aurait sans doute pas eu les moyens de produire pour chacune des sept musiciennes adoubées par Sara Mingardo.
Si nous attendons toujours le chef-d’œuvre qui nous convaincra que Steffani fut bien le chaînon manquant entre Cavalli et Haendel, en revanche, ses duetti da camera connurent une diffusion européenne tant au près des professionnels que des dilettanti, beaucoup le considérant comme le plus important représentant d’un genre où, selon Mattheson, « il surpasse de manière incomparable tous les compositeurs et mérite d’être pris pour modèle ». Il ne pouvait bien sûr par manquer à l’appel et Sara Mingardo a choisi trois pièces dont une inédite, la brève et très enjouée Ho scherzato in verità, éclipsée, toutefois, par deux autres premières mondiales. Sempre piango/sempre rido, tout d’abord, que Sara Mingardo interprète avec la mezzo Lucia Napoli, nuance l’image réductrice mais si tenace attachée à Giovanni Bononcini. Si la sublime langueur du duo final nous rappelle qu’il excelle dans la carte du Tendre, le duo initial affiche une tout autre envergure dramatique à laquelle rendent pleinement justice les accents vigoureux du contralto alors que sa frêle partenaire semble un peu perdue dans un costume trop large pour elle.
Sara Mingardo exhume un autre joyau, à voix seule celui-là : Fuggi pur, o crudele. Tirée de l’opéra Euridamante de Francesco Lucio, cette aria épouse la structure d’un lamento sur basse obstinée (un tétracorde descendant) inaugurée par Monteverdi dans le Lamento della Ninfa. Mingardo lui prête la splendeur intacte d’un velours mordoré toujours aussi fascinant et une maturité expressive que ses cadettes ne peuvent que lui envier. Ce n’était peut-être d’ailleurs pas une bonne idée de les exposer à une telle comparaison quand le projet était censé les mettre en valeur et les promouvoir…
L’album emprunte son titre, « Se con stille frequenti », à l’aria liminaire d’un madrigal d’Antonio Lotti pour deux contralti, dont Alan Curtis nous révélait il y a vingt ans (Virgin Classics) la puissance d’évocation et le caractère hypnotique des rythmes pointés et sauts d’octave figurant le martellement des ondes. Tandis que le chef américain jouait du contraste entre les instruments profondément dissemblables de Daniela Del Monaco et Roberto Balconi, nous y découvrons cette fois, aux côtés de Sara Mingardo, le timbre moins dense mais singulier de Francesca Biliotti qui devait, en 2015, remporter un beau succès personnel dans l’Orfeo de Gluck au Teatro Olimpico de Vicenza.
Lea Desandre, en revanche, n’a rien d’un contralto et Begl’occhi, oh Dio, non più (Steffani) souffre du déséquilibre entre son organe éteint et le soprano vif, souple et très sûr de Silvia Frigato. Le nom de cette dernière pourrait également vous être familier puisqu’elle a déjà travaillé avec Fabio Biondi ou Rinaldo Alessandrini et gravé des duos de Marcello ainsi que le Stabat Mater de Pergolesi (en live) avec Sara Mingardo. Mezzo clair et à la pulpe prometteuse, Loriana Castellano affronte avec brio son aînée dans la querelle amoureuse mise en musique par Lotti (Ben dovrei, occhi leggiadri) avant de nous régaler dans l’irrésistible ritournelle de Steffani Ho scherzato in verità où, rendue à sa vocalité, Lea Desandre déploie ses ailes. Inutile, en revanche, de s’attarder sur la verdeur de deux sopranos qui, à l’instar de bonbons trop acidulés, nous arrachent des grimaces. Au moins ont-elles le mérite de nous rappeler l’existence des ravissants entrelacs et des traits scintillants de Chi d’amor tra le catene de Bononcini que nous nous empresserons de réécouter dans la version de Philippe Jaroussky et Max-Emanuel Cencic.