La diffusion de l’œuvre de Nicola Porpora (1686-1768) ne cesse de prendre de l’ampleur. Au disque, les plus grandes voix du baroque ont rendu hommage au compositeur napolitain, de Cecilia Bartoli à Franco Fagioli, et de Max-Emmanuel Cenčić à Philippe Jaroussky. Les enregistrements d’intégrales d’opéra et les productions scéniques se développent également, comme l’admirable Carlo il Calvo présenté au Festival d’opéra baroque de Bayreuth (nouvelle production de l’année 2020 pour Forum Opéra) ou encore le Polifemo donné en 2019 à Salzbourg.
On le sait, les voix aiguës – castrats et dive – régnaient en majesté dans l’opera seria de la première moitié du XVIIIe siècle. Comme le rappelle le passionnant livret qui accompagne ce nouveau CD consacré à Porpora, les basses demeuraient ainsi confinées à des emplois secondaires. Cet album, entièrement centré sur les rôles les plus graves du compositeur napolitain, fait donc figure de rareté et s’avère d’autant plus intéressant qu’il englobe une large partie de sa longue carrière (Naples, Vienne, Londres) ainsi que plusieurs des genres musicaux dans lesquels il s’est illustré (opéra, oratorio ou serenata).
Des arias spectaculaires pour basse
Les airs retenus ici sont de haute facture, même si l’inspiration n’atteint pas toujours l’incroyable beauté haendélienne. On retiendra tout de même quelques belles découvertes, à l’instar du bouleversant « O beato, fortunato » et son basson solo, extrait de l’oratorio Il Gedeone, qui soutient sans peine la comparaison avec le « Scherza infida » d’Ariodante. Bien que destinées à des rôles secondaires, ces arias s’avèrent d’une difficulté technique assez éprouvante, tant dans la virtuosité exigée des interprètes que dans la tessiture, qui va du grave le plus profond à l’aigu de ténor. Certaines furent d’ailleurs créées par deux des plus illustres basses de l’époque, Giuseppe Maria Boschi et Antonio Montagnana, dont on sait que la technique devait être particulièrement spectaculaire.
Sergio Foresti © Daniele Caminiti
Sergio Foresti parvient-il à s’inscrire dans la lignée de ces brillants prédécesseurs ? En matière de virtuosité et d’agilité naturelle de la voix, il fait merveille. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les gammes descendantes du « M’hai sprezzato » de David e Bersebea ou les intervalles du « Folle chi sà sperar » de l’Angelica – serenata dont on rappellera en passant qu’elle marqua à sa création en 1720 les débuts scéniques d’un certain Farinelli. En revanche, si Sergio Foresti, qui se présente comme baryton (terme qui n’est apparu qu’à la fin du XVIIIe siècle), se révèle très à l’aise dans l’aigu, il l’est moins dans le bas de la tessiture. On attendrait ainsi des graves plus profonds et plus impressionnants, notamment pour rendre pleinement justice à l’Hercule qu’il incarne dans la magnifique aria « Ombre oscure » qui clôt l’album.
Jouant sur instruments d’époque, les musiciens de l’Abchordis Ensemble d’Andrea Buccarella sont alertes et imaginatifs et insufflent une grande énergie à cette succession d’arias. Le continuo, et notamment le clavecin d’Arianna Radaelli, est particulièrement remarquable d’inventivité. L’effectif de l’ensemble, qui ne compte pas plus de cinq violons, s’avère toutefois trop ténu pour varier les couleurs et soutenir avec davantage de puissance la voix de Sergio Foresti.
En dépit de ces limites, cet album constitue un très bel hommage à Porpora et à la voix de basse. Par les mêmes interprètes, on recommande également vivement l’écoute d’« Amanti », album paru l’an dernier et consacré aux cantates de Benedetto Marcello.