Créé en 1738, Serse est l’un des derniers opéras de Georg Friedrich Haendel qui n’en composera plus que trois autres : Giove in Argo en 1739 (mais il s’agit d’un pastiche), Imeneo en 1740, et Deidamia en 1741. Alors qu’il aura dominé la scène londonienne depuis 1711 (Rinaldo), Haendel commence en effet à perdre les faveurs du public, sans doute un peu lassé par des décennies d’ouvrages calqués sur les mêmes canevas. L’œuvre sera un échec avec cinq représentations, suivies d’un oubli total pendant 200 ans. Haendel abandonnera bientôt le lyrique pour se consacrer essentiellement à l’oratorio et à la musique instrumentale Pour reconquérir les faveurs du public, le compositeur avait pourtant cherché à renouveler son style. En dehors de quelques morceaux de bravoure, les très nombreux airs (une petite cinquantaine, certains inspirés de son rival Bononcini !) sont presque tous sans da capo (la première partie de l’aria n’est donc pas reprise avec des variations à l’initiative de l’interprète) : l’ouvrage est ainsi d’une très grande diversité, rapide dans le déroulement de l’intrigue. Typique de l’opéra vénitien du XVIIe siècle, le livret est un mélange de scènes tragiques et bouffonnes, voire triviales qui, paradoxalement, paraissent très modernes au public d’aujourd’hui. Serse a ainsi reconquis les faveurs du public et est donné régulièrement au XXIe siècle. Exemple de cette tragi-comédie, le sublime air d’entrée de Serse, « Ombra mai fu » n’est rien moins qu’une déclaration d’amour à un arbre… D’après Hérodote en effet, Xerxès se serait épris d’un platane rencontré sur son chemin et l’aurait couvert de bijoux (Hérodote ayant aussi décrit des fourmis aurifères grosses comme des renards, on restera prudent quant à la véracité de cet épisode de la vie de l’empereur perse). L’intrigue est faite de quiproquos ténus qu’un seul mot suffiraient à dissiper, et qui sont étirés pendant près de trois heures : A aime B après avoir plaqué C. B aime D qui l’aime aussi. E aime D et use de divers stratagèmes pour que A croît que B l’aime effectivement et que D pense que B ne l’aime plus. Tout rentre dans l’ordre à la fin. Passons sur Y et Z (rôle bouffe bien entendu) respectivement père de B et serviteur de C.
Le rôle-titre fut créé par l’un des plus célèbres castrats, Caffarelli. Franco Fagioli y triomphe dans une de ses plus formidables prises de rôle récentes. Sa technique vocale et ses moyens phénoménaux sont au service d’une incarnation parfaite du personnage, tour à tour hystérique, drôle, faussement émouvant. Sa virtuosité exceptionnelle semble ici naturelle tant elle correspond aux fureurs de Serse, en particulier dans l’incroyable « Crude furie degli orridi abissi » où le chanteur vocalise sur deux octaves (entre l’ut dièse grave et le contre-ut dièse, en diapason 440) avec de vertigineux sauts d’octaves, des vocalises précises et d’une vitesse incroyable. Son Serse n’est pas seulement l’une des plus formidables réussites haendéliennes dont nous ayons un témoignage, mais un sommet de l’art du lyrique, tous styles confondus. La Romilda d’Inga Kalna offre une timbre opulent, rare dans ce répertoire, une belle largeur de voix et des piani confondants de facilité. Voilà une artiste trop discrète que l’on aimerait entendre plus souvent dans nos contrées. Le temps ne semble pas avoir de prise sur Vivica Genaux qui a gardé toute sa souplesse technique pour les vocalises d’Arsamene, l’enregistrement apportant un supplément de largeur à son timbre. Sa composition est également touchante. Francesca Aspromonte est une Atalanta piquante. Andrea Mastroni est une vraie basse aux graves bien ronds. Dans le rôle un peu sacrifié d’Amastre, Delphine Galou tire parfaitement son épingle du jeu. L’Elviro de Biagio Pizzuti est tout simplement parfait, jouant avec un visible plaisir des différents registres (le personnage doit chanter en voix de tête lorsqu’il se déguise en femme pour tromper les ennemis de son maître).
On a connu des directions plus contrastées et originales, mais celle de Maxim Emelyanichev reste d’excellente tenue, fougueuse sans jamais être brutale, parfaitement en phase avec le plateau. Grâce à la prise de son, Il Pomo d’Oro gagne une épaisseur qui lui manquait un peu à la scène. Les rares choeurs (3 minutes de musique) sont rétablis par rapport aux récentes représentations commentées par nos confrères.