Même si la France ne s’en est pas émue outre mesure, le quatrième centenaire de la mort de Shakespeare aura été marqué dans le monde lyrique par une programmation en partie consacrée à des opéras comme Otello, Falstaff ou Hamlet, sans oublier diverses exhumations et créations dont certaines restent à venir. Au concert ou au disque, plusieurs artistes se sont aussi chargés d’honorer la mémoire du Barde de Stratford : on pense notamment à Ian Bostridge dans son dernier enregistrement. Mais voilà qu’une chanteuse française vient ajouter son grain de sel dans cet univers qu’on aurait pu croire réservé aux Anglo-Saxons. Bien lui en a pris, car avec ce récital de Shakespeare Songs, Isabelle Druet réussit supérieurement à surprendre et à séduire.
A surprendre, d’abord, car la mezzo a eu le courage d’aller dénicher des partitions moins rebattues. Son disque s’ouvre sur cinq pièces charmantes de Mario Castenuovo-Tedesco, compositeur mainte fois inspiré par Shakespeare. Dans un langage très classique, ces mélodies écrites dans les années 1920 n’en retiennent pas moins l’attention et parviennent à amuser ou à toucher. Au chapitre des découvertes, on placera nécessairement La Mort d’Ophélie que Saint-Saëns eut le culot de composer sur le même poème de Legouvé qui avait inspiré à Berlioz une de ses mélodies les plus connues ; et l’on osera dire que la version Saint-Saëns, sans avoir le côté obsédant des onomatopées berlioziennes, est d’un intérêt musical plus grand, par son refus de la forme strophique, par ses modulations et par son inventivité pianistique dont le tourbillonnement reflète le cours de la rivière où Ophélie se noie. Notons au passage qu’à aucun moment la toujours admirable Anne Le Bozec ne cherche à tirer la couverture à soi, même quand la partie de piano s’avère plus exigeante. Excellente idée aussi que d’avoir enregistré la chanson conçue par Fauré pour une adaptation du Marchand de Venise donnée en 1889. Belle audace aussi que de s’aventurer dans Sibelius, jusque-là chasse gardée d’artistes ayant des raisons familiales ou personnelles d’oser le suédois : les deux mélodies d’après Twelfth Night sont superbes, surtout « Kom nu hit, död ! » dont il ne faut pas de grandes compétences linguistiques pour s’apercevoir qu’il s’agit d’une traduction du fameux « Come away, death ! » si souvent mis en musique. Plaisir, enfin, d’écouter les braiements d’âne qu’a inspirés à Hugo Wolf le Bottom du Songe d’une nuit d’été.
A séduire, Isabelle Druet y parvient aussi grâce à la beauté d’un timbre chaud et plein, dont elle semble pouvoir à volonté modifier les couleurs : écoutez le premier des deux Sibelius, on croit tout à coup entendre une autre voix. Outre le français, la chanteuse s’exprime ici en anglais, bien sûr, mais aussi en allemand et, on l’a dit, en suédois. L’intelligence de l’interprète lui permet de s’investir avec une aisance égale dans ces différentes langues et de varier les climats autant que le texte et la partition l’exigent. Voilà un disque qu’on trouvera forcément trop court, tant on voudrait que la magie de son programme se poursuive au-delà de sa durée, pourtant tout à fait raisonnable : justement, NoMadMusic vous a réservé une petite surprise, puisque la dernière plage inclut en fait une brève pièce supplémentaire, non mentionnée, une quatrième mélodie de Korngold, « Hey Robin, jolly Robin » !