Marchant sur les traces des grands Tibett et Warren, héros locaux, le baryton américain Sherrill Milnes reprend le rôle de Simon dans une production venue tout droit de Chicago.
Mais, de l’Illinois à New York, les décors et la mise en scène conçus par Pier Luigi Pizzi ont été recalibrés par Tito Capobianco, au point que Pizzi a demandé que son nom soit retiré de l’affiche. Pourtant, au moins pour les décors classiques à l’architecture recherchée, et les costumes superbes, on reconnaît la patte « pizzienne ». Le luxe du Met se présente ici sous son meilleur jour. Tout est mis au service de l’histoire, passablement compliquée au moins quant à son articulation dans le temps, et des chanteurs. Le spectacle, des plus classiques, est agréable à suivre, tout comme la réalisation du DVD.
Le plateau est dominé par le rôle titre. Sherill Milnes connaît, à son habitude certains problèmes d’intonation et son timbre reconnaissable entre tous n’est pas des plus beaux, ses aigus étant même parfois peu agréables. Toutefois, excellent dans les rôles verdiens qu’il a incarnés partout dans le monde, où son rare sens du legato est valorisé, Milnes sait admirablement nuancer, en allégeant son émission, notamment au dernier acte. Il y est très émouvant. Avec son physique du bûcheron, il emporte la partie : corsaire viril au prologue, il devient un doge plein d’autorité et de conviction et l’évolution du personnage est très crédible. La scène du conseil est à ce titre un modèle du genre et on n’envie pas le pauvre Paolo Albiani victime de la colère froide du doge… avant d’être expédié au bourreau.
Son Amelia est Anna Tomowa Sintow. La soprano bulgare s’est illustrée dans de nombreux rôles verdiens parmi les plus lourds, comme l’autre Amelia, celle du Bal Masqué, ou Desdemona. Si elle est sans doute trop mûre à tous égards pour la fille de Simon, rôle auquel la fraîcheur d’une Mirella Freni peut mieux convenir, vocalement le rôle, avec ses longues phrases très lyriques, lui va très bien.
Le reste de la distribution est plus routinier. Vasile Moldoveanu, ténor roumain qui a fait le bonheur de toutes les scènes internationales jusque dans les années 1990, est un Gabriele Adorno vaillant et crédible scéniquement, grâce à son physique sec et nerveux lui permettant de traduire les sentiments contrastés qui habitent le jeune homme tout au long de l’œuvre. Mais, outre des problèmes d’homogénéité entre les registres, on est frappé par son manque de classe et de nuances… Paul Plishka, titulaire habituel des rôles de basses au Met, campe un Fiesco de routine mais bien chantant, ses affrontements avec Simon constituant certains moments clefs de l’œuvre. Richard Clark est un Paolo sonore mais peu stylé.
A la baguette, James Levine dirige son premier Simon. L’orchestre maison sonne bien dans les passages les plus orchestraux de cette œuvre très riche, et notamment le prélude quasi wagnérien du premier acte ou la progression vers la mort de Simon.
Au total, grâce surtout aux deux rôles principaux et au chef, cette version d’une des œuvres les plus attachantes de Verdi vient prendre toute sa place en haut de la DVDgraphie, à côté, et pas en dessous, de la version Solti
Jean-Philippe THIELLAY