Rareté parmi les raretés. Opera Rara s’éloigne un instant des drames sanglants du Romantisme italien et nous revient avec un Offenbach en intégrale, marquant l’actualité d’une belle réussite. Le regretté Patric Schmid rêvait d’une intégrale du Serio rossinien. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il adorait également Offenbach et qu’il nourrissait de nombreux projets pour ce compositeur. Après son décès, on a pu constater combien la firme britannique avait à cœur de conserver l’identité voulue par Patric Schmid, en menant à bien ses différents souhaits. Ce Vert-Vert, s’inscrit dans cette volonté.
En 1869, un Offenbach prolifique, produira cinq œuvres dont Vert-Vert, dans sa collaboration avec l’Opéra Comique. Vert-Vert, perroquet de son état, est un pieux volatile loquace, au destin aussi tragique que prématuré et va donner son patronyme au héros nous occupant. Ceci fait, Offenbach oubliera la trame du poème fameux en son époque servant d’inspiration. Une pension de jeunes filles dégourdies, une brochette de personnages truculents, un héros aux allures de Candide, un voyage initiatique en mode encanaillement, un brin d’exotisme dans le chef d’une cantatrice ensoleillée, quiproquo et autre vaudeville, dénouement moral. Tout est réuni pour ce qui ne désire être qu’un divertissement savoureux.
On saluera le luxueux écrin du Philharmonia Orchestra. Sans regretter que la mariée soit trop belle, on posera la question de savoir si une telle phalange dans ses proportions et ses foisonnements, reflète à tout moment, la légèreté impertinente requise. David Parry mène passionnément son monde à la baguette. Il est, dans une belle évidence, le ciment de cette réussite. Si les moments d’intimité, de sensibilité ou la superbe scène finale évoquant curieusement le nocturne des confusions des Nozze di Figaro, n’amènent qu’approbation, le chef anglais semble parfois connaître quelque difficulté à exprimer cette verve particulière à l’univers offenbachien, en n’osant pas cette pointe d’effronterie rythmique relative à cet esprit français.
Offenbach réunit une galerie impressionnante de solistes. En dehors des rôles principaux, il désirait pour ses seconds plans, davantage des personnalités fortes, plus diseurs que chanteurs, capables de croquer une allure ou un rang en quelques réparties savoureuses. L’équipe, hormis de légères réserves, emporte l’adhésion par le plaisir que procure l’enregistrement dans son développement.
Côté dames, Anne-Marie Owens (Mademoiselle Paturelle) est une maîtresse de pensionnat savoureuse, replète dont l’embonpoint vocal demeure toujours équilibré dans son bon goût. Le trio de pensionnaires composé par Lucy Crowe (Bathilde), Ann Taylor (Emma) et Thora Einarsdottir (dans ce qui aurait dû être une plus imposante Mimi), appelle les mêmes qualités et absences. Ces demoiselles sont à croquer de fraîcheur, de sourire et de bonne volonté. Vocalement rien de rédhibitoire, mais que de placidité ! Le premier acte évite de peu le brin de lassitude. Un charme certain, mais, on les sent toutes trois désarmées par un idiome dont visiblement, elles ne maîtrisent que trop peu, la signification mais aussi, et là, le bât blesse cruellement, ce manque de vif argent, d’esprit nécessaire à une pleine réussite. Le divin Jacques peut se satisfaire de chanteurs aimables mais point d’esprits bridés en leur humour et leur imaginaire. Broutille pour nos deux premières pensionnaires de par les proportions de leur rôle. Dans le cas de Thora Einarsdottir, cela s’avère plus gênant dans la tenue de son rang. Sa réserve finit par déséquilibrer l’affiche, notamment dans son rapport avec sa furieuse rivale qu’est Jennifer Larmore la dévorant toute crue en moins de deux coloratures carnassières. Dès lors, on s’explique bien mal que notre brave Vert-Vert décide in fine, de retrouver les bras de cette pâle Mimi au détriment de notre Corilla Larmore incendiaire… Sans évoquer un nationalisme primaire, on ne peut passer sous silence, le sourire fleurissant aux lèvres devant la gestion des récitatifs parlés. Là où scéniquement, l’œil aurait sans doute distrait l’oreille, le disque les replace en première ligne, au détriment des accents assez folkloriques de ces dames. Tout en relativisant, car une fois encore, rien de honteux, force est de constater qu’à plus d’un moment, la prestation parlée du dit trio ferait passer Jane Birkin pour une pensionnaire de la Comédie Française. Que ce soit pour cet aspect parlé ou pour cette nécessité de culture, d’esprit, d’humour si typiquement français, on ne pourra qu’encourager Opera Rara à développer de nouvelles collaborations avec des personnalités francophones. Sans attendre pour Mimi, la diva française que la firme a longtemps espérée, quitte à la sous-distribuer, Rara aurait pu persévérer et donner sa chance par exemple à une Isabelle Philippe, première d’une longue liste de belles personnalités qui mériteraient un éclairage médiatique. On évoquera avec un immense plaisir, la prestation de Jennifer Larmore (Corilla), dans ce qui est justement l’exemple parfait de l’adéquation entre les qualités d’une artiste et un rôle. Jenny crève littéralement l’écran avec sa cantatrice exotique dans tous les sens du terme. Son entrée marque le changement de vitesse de l’enregistrement, dans une verve dont il ne va plus se départir. Sensuelle et désirable en diable, elle virevolte entre les désordres qui sont les siens – dont elle a le génie d’en modeler des outils expressifs – et ses paradoxes vocaux (médium de plus en plus en arrière avant d’affronter crânement une tessiture aigüe aussi surprenante que facultative). Judicieusement, Larmore établit un pont, une évidence entre son univers rossinien et la virtuosité dont Offenbach se plaisait à parer ses chères héroïnes. On imagine aisément quelle grande Duchesse de premier plan, elle pourrait camper sur n’importe quelle scène nationale. Larmore simplement, porte par sa prestation lumineuse, la réussite vocale de ce disque !
Une fois n’est pas coutume, l’équipe masculine est d’une ferme cohésion. Les Boys semblent moins gênés aux encoignures dans leur récitation, tandis que les petits Hexagonaux font réellement du beau travail et éclairent notre propos au sujet de l’esprit français. Ainsi, satisfecit général pour Mark Le Brocq (Binet), Mark Stone (Le Comte d’Arlange) et Franck Lopez (Friquet et Maniquet), tant dans leurs qualités vocales que dans leur réussite de caractérisation. Franck Leguérinel est simplement parfait dans les saveurs ridicules de son professeur de danse, jusque dans les excès consonantiques de son école très vieille France. Sébastien Droy a l’allure belle et nous frustre par la brièveté de son rôle. Frustration partagée par notre autre énorme coup de cœur qu’est Loïc Félix (Le Chevalier de Bergerac) dont les moyens colorés et intelligents, mériteraient autres véhicule et reconnaissance. Notre Vert-Vert enfin, est défendu par un Toby Spence bien inspiré. On pardonnera de légères limitations dans la tessiture pour s’attarder sur une intelligence des moyens et surtout la pleine réussite du portrait de ce jeune homme sensible et naïf. Spence sert Offenbach dans ses contrastes et suscite une belle émotion entre son parcours de jeune chien fou et le romantisme daté du Dandy à la française.
Devant l’indigence de maisons françaises reniant lâchement leur répertoire, on recommandera chaleureusement ce qui demeure, à ce jour, un opus premier d’Opera Rara pour Offenbach. Une première mondiale ? Certes, plus encore, deux heures de plaisir.