Le label écossais Linn Records possède un catalogue varié, dont la musique classique n’est que l’un des aspects, mais il semble s’intéresser d’assez près à Sibelius, par le biais d’une collaboration avec le chef danois Thomas Søndergård (souvent entendu à la tête de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse) et l’orchestre gallois de la BBC : Finlandia, et les symphonies n° 1, 2, 6 et 7 (les numéros 3 à 5 suivront sans doute). C’est sans doute dans la même lignée que s’inscrit le présent disque de mélodies, où le compositeur finlandais se taille la part du lion, mais associé de manière inhabituelle à son contemporain Rachmaninov. Le rapprochement n’est d’ailleurs pas incongru : les œuvres réunies ici datent exactement de la même période (entre 1895 et 1917), et la Finlande n’était alors qu’un grand-duché dépendant de l’empire des tsars. Mais si le monde musical auquel ces mélodies se rattachent est le même, la langue est différente, bien sûr.
Pour les interpréter, on a fait appel à un chanteur qui n’est ni russophone ni finnophone de naissance. Malgré son prénom à consonance française, Jacques Imbrailo est en fait sud-africain, vraisemblablement descendant de colons européens. Après avoir été petit chanteur soprano dans le chœur des Drakensberg Boys dans son pays natal, il s’est assez vite fait remarquer dans le rôle de Billy Budd, dont il est aujourd’hui l’un des meilleurs titulaires. On peut s’en rendre compte grâce aux divers enregistrements et captations disponibles : DVD et CD reflétant le spectacle donné à Glyndebourne en 2010, et DVD BelAir Classiques à paraître à la rentrée, qui immortalise la production vue à Madrid. Le baryton compte aussi Pelléas à son répertoire, rôle qu’il a notamment chanté en Allemagne et en Belgique, et prochainement à Strasbourg. Pour ce qui ressemble fort à son premier disque en solo, Jacques Imbrailo n’a pas choisi de chanter dans sa langue maternelle, mais a courageusement choisi deux idiomes plus lointains. Pour le reste, on pourra trouver un peu opératique la manière dont son baryton clair interprète la mélodie : on apprécie le côté « sincère » de son chant, peut-être lié à l’habitude de jouer les héros gentils, mais moins les sanglots qui passent dans sa voix et d’occasionnels détimbrages.
Quant au programme, il s’ouvre sur cinq chants de Noël, aimables à défaut d’être renversants, assez platement strophiques dans leur mise en musique, mais dotés d’un charme mélodique dont la douce mélancolie rappelle un peu Tchaïkovski. On pourrait croire qu’il s’agit de la naïveté de compositions de jeunesse, mais pas du tout : d’une part, parce qu’elles s’échelonnent entre 1895 (Sibelius avait alors 30 ans) et 1913, d’autre part parce que, avec des pièces d’exactement la même période, la suite du disque se révèle bien plus passionnante. Tout change en effet lorsque l’on découvre l’introspection tourmentée de « Sur le balcon près de la mer », dont la thématique rappelle un peu le fameux « Dover Beach » de Matthew Arnold, ou les contours sinueux de « Norden ». Et l’on se dit alors qu’on est soudain plus proche de Rachmaninov. Du compositeur russe, on trouve aussi quelques-unes des plus célèbres de ses mélodies, souvent confiées à des voix féminines : « Les Lilas », « Eaux du printemps », ou encore « Zies khorocho », « Nié poï, krassavitsa ». Cette dernière est chantée de manière curieusement sobre, dépouillée de tout orientalisme exotique ; d’une netteté alors presque excessive, le jeu du pianiste Alisdair Hogarth est à l’unisson, comme pour dépouiller Rachmaninov de toute brume slave, de tout sfumato post-romantique.