C’est fait : Simone Kermès décroche avec ce disque son bâton de maréchal(e) du chant baroque ! Au niveau technique, elle est souveraine, plus aucune figure de style, plus aucun ornement ne semblent lui poser de difficultés. Ce qui impressionne surtout est le souffle, qui paraît infini et lui permet de déployer des lignes qu’elle incurve en arabesques au gré d’une imagination d’interprète fertile. Le volume sonore fait aussi l’objet de réglages millimétriques, qualité essentielle dans un répertoire où la nuance permet de colorer ce qui, à la lettre de la partition, pourrait sembler monotone. Les chanteurs du XVIIe siècle savaient cet art instinctivement, beaucoup de baroqueux l’ont oublié ou ont cherché en vain à le ressusciter. Simone Kermès, après de nombreux disques qui la montraient tâtonnante, a trouvé la pierre philosophale, et son récital s’écoute comme un catalogue des possibilités de la voix humaine lorsqu’elle se meut à un tel niveau d’excellence.
Au rayon des satisfactions apportées par le CD, on notera aussi un net progrès dans la prononciation : ce n’est plus seulement en italien que la diva « assure », mais aussi en espagnol et en anglais. Le français reste difficile à comprendre, mais c’est le lot de toutes les voix haut perchées. Seule parmi les sopranos coloratures, Natalie Dessay réussissait l’exploit de faire passer l’intégralité de son texte.
Face à la quasi-perfection musicale de l’enregistrement, on s’étonne que la chanteuse se soit fourvoyée en décidant d’interpréter un air de Cesti intitulé « Disserratevi abissi », qui se joue presque tout entier dans le suraigu, lequel n’a jamais été le point fort de Kermès. Cela nous vaut quelques phrases hurlées qui sont d’autant plus douloureuses que la prise de son est réalisée de tout près. Si la soprano ne flanche pas, arrachant les notes les unes après les autres, l’auditeur sort fortement éprouvé de ce combat musical. Mais soit, il s’agit d’un unique faux pas (à la plage 13, comble de malheur !) dans un album qui est d’un niveau technique globalement irréprochable.
Le seul véritable problème de ce disque est le répertoire. A la rédaction, on a toujours soutenu les découvreurs, ceux qui nous ramenaient des siècles précédents les perles oubliées, ceux qui réparaient les erreurs judiciaires dans l’histoire de la musique. Mais, passé le Lamento de Monteverdi, la plupart des morceaux égrenés ici sont d’aimables ariettes signées Boësset, Briceno, Manelli ou Eccles, sans grand relief, où la fausse pamoison le dispute à la fadeur. Même les morceaux de compositeurs plus connus tels que Merula ou Dowland n’ajoutent rien à la gloire de leur auteur. Il existe pléthore de morceaux à exhumer dans le répertoire du XVIIe, autrement plus substantiels, où les qualités instrumentales de l’ensemble La Magnifica Communita et de son chef Enrico Casazza, si attentifs, si investis dans le détail fignolé, seront mieux utilisées.
Un CD qui marque une étape dans la carrière de Simone Kermès, mais qu’on réservera à ses fans ou aux inconditionnels du premier baroque.