Nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion d’attirer l’attention sur les disques produits par le label Lyrita, spécialisé dans la publication de bandes inédites, écho de concerts radiodiffusés mais qui n’avaient jusque-là jamais fait l’objet d’un report discographique. Ces bandes sont le fruit de la passion d’un mélomane anglais, Richard Itter, qui entreprit en 1952 d’enregistrer chez lui les retransmissions de la BBC, accumulant peu à peu une impressionnante collection qu’il n’écoutait que rarement, d’où sa préservation en parfait état. Depuis 2014, le Lyrita Recorded Edition Trust transfère peu à peu ces bandes sur CD, révélant ainsi des œuvres de compositeurs britanniques ou ayant vécu en Grande-Bretagne, souvent en premier enregistrement mondial.
Avec Sir John in Love, il en va tout autrement. D’une part, il ne s’agit pas d’un compositeur totalement méconnu des mélomanes français : même s’il y a encore du chemin à parcourir, Ralph Vaughan Williams a ses admirateurs dans notre pays. D’autre part, il ne s’agit pas non plus d’une œuvre inconnue au disque, puisque Sir John in Love a bénéficié en 2001 d’une intégrale de studio dirigée chez Chandos par le regretté Richard Hickox, et avec du très beau linge : Donald Maxwell en Falstaff, Laura Claycomb et Sarah Connolly en joyeuses commères, Mark Padmore en Fenton. On trouve également sur YouTube une très belle version diffusée par la BBC en 1972, avec Owen Brannigan en Falstaff (et Roger Norrington, alors chanteur, en Slender !). Brannigan figure aussi dans la version que publie à présent Lyrita, mais il n’était alors que l’Hôte de l’auberge de la Jarretière ; April Cantelo, Ann Page pour Lyrita, est devenue Mrs Page dans la captation de 1970 diffusée en 1972.
Initialement intitulé The Fat Knight (« Le gras chevalier »), Sir John in Love s’inspire, comme Falstaff, des Joyeuses Commères de Windsor. Bien sûr, le chef-d’œuvre comique de Verdi appartient au répertoire mondial, alors que Sir John in Love n’est guère joué qu’en territoire anglophone, de loin en loin, car il n’est pas certain que l’opéra ait été le genre auquel le talent de Vaughan Williams ait été le plus adapté. Le livret, quoique beaucoup plus proche de Shakespeare que celui de Boito, paraît en comparaison bien lent et encombré de personnages superflus. Fidèle à ses intérêts, le compositeur truffa sa partition de folk-tunes, le plus célèbre Greensleeves, source du superbe interlude du dernier acte qui servit jadis d’indicatif à une émission de France-Musique. L’œuvre ne manque pas de fort beaux passages, et il faudrait la voir en scène pour vraiment juger de son efficacité théâtrale.
En tout cas, Vaughan Williams n’exige jamais trop des chanteurs, et une bonne troupe peut parfaitement rendre justice à son opéra, à condition de lui conférer la vie nécessaire. Pas besoin de très grands artistes pour cette œuvre qui fut créée par les élèves du Royal College of Music et attendit 1946 pour connaître sa première production professionnelle. Dix ans après, la BBC décida de l’enregistrer en studio, avec plusieurs des artistes ayant participé à cette (re)création : Roderick Jones, Falstaff très sérieux, James Johnson en Fenton, et Owen Brannigan déjà mentionné. Justement, ce qui manque à cette version, c’est l’animation propre à la scène car, malgré leurs efforts, les artistes réunis ici n’y parviennent pas tout à fait. Même April Cantelo, Miss Wordsworth gazouillante dans Albert Herring enregistré par Britten en 1964, paraît bien froide en Ann.
Autrement dit, cette nouvelle version risque fort de ne pas détrôner les autres, surtout auprès des auditeurs qui préfèrent la qualité d’écoute d’enregistrements plus récents. Les nostalgiques trouveront cependant dans le disque Lyrita le souvenir de toute une génération de chanteurs britanniques, dont Heddle Nash, Ferrando et Ottavio durant les premières années du festival de Glyndebourne.