La publication d’un nouveau disque conçu sous l’heureux parrainage du Palazetto Bru Zane est toujours excitante, surtout lorsqu’il met à l’honneur un des ténors français les plus doués. Riche en inédits de l’opéra-comique français du XIXe siècle, So Romantique ! est un pendant au très réussi Bijoux perdus de Jodie Devos. On songe aussi à Confidence, hommage au ténor de demi-caractère. Tourné vers le répertoire de ténor léger (voire demi-caractère), ce nouvel album d’une parfaite cohérence est plus enthousiasmant encore.
Le programme balaie près d’un siècle de création, de la délicieuse Dame blanche (1825) de Boieldieu à l’inconnu Myriane de Charles Silver (1913, à Nice). Gibby la cornemuse, Pedro de Zalamea, La Barcarolle, L’Élève de Presbourg, Les Mousquetaires de la reine… Les titres sont autant de promesses aimablement exotiques, entre escapades dans le passé et contrées évocatrices. Qu’il s’agisse d’airs à sections selon le modèle italien, de romances, couplets ou scènes plus dramatiques, ces extraits sont traversés d’un même esprit, celui de l’opéra-comique. Gustave Roger, étoile de Favart de 1838 à 1848, créa cinq des airs proposés, ce qui en souligne la filiation*.
On vole de découverte en découverte, même chez les plus connus Gounod (rarissime Le Médecin malgré lui), Saint-Saëns et Bizet. Ainsi, de La Jolie Fille de Perth, ce n’est pas la célèbre sérénade qui est proposée, mais une scène aux accents fortement contrastés. Si le PBZ s’était déjà intéressé à Théodore Dubois, Charles Luce-Varlet nous restait parfaitement inconnu. L’air « Viens, ô mélodie » qu’il met dans la bouche du jeune Haydn n’a certes rien de révolutionnaire, mais il est interprété avec tant de charme qu’on en reste désarmé. Toujours méconsidérés, les prolifiques Auber, Halévy ou Thomas livrent de séduisantes preuves de leur talent, et portent les conventions du temps à leur meilleur. Guère mieux traité par la postérité, Clapisson eut le front d’être élu à l’Académie des Beaux-Arts à la place de Berlioz. L’auteur des Troyens avait pourtant fort loué Gibby la cornemuse, dont la romance est délicieuse, en contrepoint avec l’orage lointainement suggéré à l’orchestre. Du même Clapisson, l’air du Code noir, œuvre rejouée avec succès, permet de clore le disque sur un passage pianissimo et un aigu en voix mixte.
On sait gré à Cyrille Dubois de revenir par touche au mécanisme léger, procédé vocal occulté par des décennies d’héroïsme claironnant. Ce n’est bien sûr pas le seul atout du Normand, qui aborde la variété d’extraits avec un égal bonheur. L’attrait principal de ce ténor léger, coloré et bien projeté est dans la ligne caressante et expressive. Ça tombe bien : ce répertoire mise sur une délicatesse, une mélancolie, un sentimentalisme qui contrastent avec un romantisme italien plus tripal et véhément. Très premier degré, Dubois se fond dans la poétique ineffable de jeunes rêveurs chantant la nature, susurrant un idéal ou les déchirures de leur âme.
Tout est coloré par un luxe d’inflexions et de détails dans la manière de dire le texte. On redécouvre la dimension éminemment théâtrale de l’opéra-comique : le ténor ne chante pas, il raconte. Ainsi dit, « Adieu Mignon ! » intéresse enfin. Habituellement réduit à des contre-ut avec du remplissage, « Ah mes amis quel jour de fête » n’aura jamais été aussi soigné, au point qu’on s’intéresse plus à la cavatine qu’à l’enfilade d’aigus. Dépassé, le procès en mièvrerie fait à l’opéra-comique français : des fadaises comme « Demande à l’oiseau » (Le Timbre d’argent) deviennent irrésistibles.
Ces finesses de mélodiste ne signifient pas que le programme, absolument superbe, est avare de satisfactions plus purement vocales : Cyrille Dubois orne et darde de beaux aigus, notamment dans la strette du Roman d’Elvire, ou vocalise impeccablement chez Auber et Boieldieu… Quand les airs plus tardifs de Godard, Dubois et Silver se font plus expansifs, le ténor se plie à une effusion plus affirmée et à des tessitures plus tendues.
La baguette volubile de Pierre Dumoussaud est en phase avec cette l’approche narrative. Au service d’une musique faite de motifs et de touches délicates, l’orchestre national de Lille a toutes les couleurs, le moelleux et la vivacité requis. Dénué de lourdeur, l’accompagnement est constamment plaisant et adapté à l’approche de Cyrille Dubois, faite de délicatesse et d’onirisme. Un disque de rêve !
*La carrière de Roger ne laisse pas d’étonner. Doté d’une voix aiguë et souple, il développa peu à peu des moyens plus proche du ténor de force en vogue à l’Opéra où il passa ensuite, reprenant les emplois de Nourrit et Duprez et créant Le Prophète de Meyerbeer (1849) et Herculanum de Félicien David (1859). Le rôle de Jean de Leyde témoigne de l’ambivalence de ses moyens, les lignes légères et haut perchées du songe et de la pastorale (acte II) contrastant avec l’air « Roi du ciel » pour fort ténor. Également représentés dans le programme, Louis Ponchard, Achille Montaubry, Léon Achard et Edmond Clément restèrent des archétypes du ténor d’opéra-comique (on peut entendre des enregistrements de ce dernier), tandis que le premier Tonio de La Fille du régiment, Mécène Marié, passa lui aussi à l’Opéra, et termina sa carrière comme baryton après avoir perdu ses aigus !