Max Reger est mort le 11 mai 1916. Une chance pour lui, nous sommes en 2016 : qu’il en profite donc avant qu’on ne laisse retomber dans un relatif oubli ses œuvres vocales. En effet, s’il est surtout connu comme organiste, comme auteur de poèmes symphoniques et de pièces chorales, Reger écrivit aussi d’innombrables mélodies qui connaissent rarement les honneurs du disque. Elles ont été assez peu enregistrées, et presque exclusivement par des artistes allemands, Fischer-Dieskau en tête (le dernier CD de Lieder de Reger semble dater de 2007 et était dû au ténor Markus Schäfer). Bravo donc au label Hyperion d’être parti explorer ces partitions que, nous apprend le livret d’accompagnement, on accusait du vivant du compositeur d’être impossibles à chanter et impossibles à vendre.
Impossibles à chanter, ces mélodies ne le sont sans doute pas. Non qu’elles soient faciles. Comme celles de son heureux rival Richard Strauss, elles appellent parfois une voix ample, d’un format post-wagnérien, mais pas toujours, loin de là, et des artistes aux moyens raisonnables peuvent tout à fait y briller. Qu’en fait Sophie Bevan ? Pamina à Londres et à Madrid, Ilia et Suzanne à Convent Garden, Sophie du Rosenkavalier à l’ENO et au ROH, protagoniste de The Exterminating Angel, création mondiale de Thomas Adès à Salzbourg, la soprano britannique mène une solide carrière, même si elle n’a guère été entendue en France que dans Le Messie monté à Lyon par Deborah Warner. Elle a pourtant un timbre un peu opaque, on cherche vainement le moindre sourire dans sa voix, et l’aigu forte est affecté de stridences désagréables. Heureusement, hors des extrêmes, l’interprète s’avère bien plus écoutable et sait tirer parti des textes mis en musique par Reger, qui s’aventura plusieurs fois sur les mêmes territoires que Strauss : le disque inclut ainsi un « Träume, träume » et un « Morgen » qui résistent difficilement à la comparaison avec leurs homologues infiniment plus connus. Le versant sérieux, voire mélancolique ce répertoire n’est d’ailleurs pas forcément celui qui marque le plus, et l’on apprécie d’autant plus le Reger guilleret qui pointe ici et là (« Sag es nicht », « Kindergeschichte »), notamment avec la citation ironique de la Marche nuptiale de Mendelssohn, mâtinée d’échos tristanesques dans « Die Mutter spricht ».
Reste la question de savoir si cette musique est impossible à vendre. Malgré le soin qu’apporte Malcolm Martineau à leur exécution, l’oreille n’est pas toujours captivée par l’inspiration mélodique de Reger, il faut bien l’avouer, et malgré certaines subtilités harmoniques, on est loin de l’admirable écriture pianistique de ses Six Intermezzi, par exemple. Mais patience, nous ne sommes qu’à la moitié de l’année 2016, et il est encore permis d’espérer que d’autres artistes tenteront d’insuffler à ses Lieder ce que ce disque-ci ne nous offre pas tout à fait.