Après tant de Macbeth plongés dans les ténèbres épaisses du crime (ou sous la lumière crue des néons des dictatures contemporaines), il est assez rafraîchissant d’en découvrir un où la lumière vive n’empêche pas les noirs desseins. C’est en effet ce qui frappe de prime abord dans cette production captée à Parme en 2006 (cette date lointaine en fait le plus ancien de tous les spectacles proposés par C Major dans son intégrale Verdi). Liliana Cavani est bien connue des amateurs d’opéra en Italie, et il fut un temps où elle était également invitée en France : certains se souviennent peut-être de sa Médée au Palais Garnier en 1986, pour laquelle Ezio Frigerio avait conçu un décor particulièrement impressionnant. Même si elle s’est bien assagie depuis, Liliana Cavani reste envers et contre tout Madame Portier de nuit, et peut-être est-ce la raison pour laquelle son Macbeth inclut, de manière assez gratuite, une référence à la Deuxième Guerre mondiale. Les très beaux costumes d’Alberto Verso renvoient à l’époque de Shakespeare, et l’essentiel du drame se joue dans une sorte de théâtre élisabéthain, semblable au Globe de Londres, imaginé par Dante Ferretti, désormais son scénographe attitré, mais les « spectateurs » (une partie du chœur, en fait, plus quelques mannequins dans les étages supérieurs) sont habillés comme dans les années 1940 et, à chaque baisser de rideau, des projecteurs balaient la scène comme ils balayaient le ciel aux grandes heures du Blitz. Qu’on soit à Londres vers 1600, c’est très bien ; qu’on puisse également être à Londres vers 1940, pourquoi pas, mais ce feuilletage temporel reste curieusement inexploité. Qu’à cela ne tienne, Liliana Cavani a des idées intéressantes et surtout, contrairement à tant de ses confrères de la péninsule, décorateurs autoproclamés metteurs en scène, elle sait diriger les acteurs. Premier choix étonnant mais finalement habile, les sorcières ne sont pas ici des créatures qu’on voudrait inquiétantes, affublées d’oripeaux grotesques, mais un groupe de femmes du peuple occupées à laver leur linge. Cette solution, qui semble d’abord priver l’intrigue de tout surnaturel, s’avère particulièrement fonctionnelle lors du Ballabilli (une fois n’est pas coutume, il n’est pas coupé), où nos lavandières s’acoquinent avec une bande de godelureaux, non sans déhanchements suggestifs dignes des cigarières de Carmen. Et d’être au lavoir ne les empêche pas de présenter à Macbeth toutes les apparitions requises, dont la manifestation au grand jour ne manque pas d’être troublante. Très peu d’hémoglobine, cependant, dans ce spectacle, et pas de spectre de Banquo dans la scène du festin (seul Macbeth le voit), mais l’air de Macduff est d’autant plus émouvant que la foule qui l’accompagne transporte les cadavres de sa femme et de ses enfants. Liliana Cavani a soigné sa conception du couple central, et en particulier de Lady Macbeth. Au lieu d’une harpie uniformément malfaisante, nous découvrons d’abord une grande dame qui s’amuse avec son bouffon nain, qui a toujours le sourire même quand elle complote le meurtre, plus terrifiante ainsi que toutes les habituelles mégères grimaçantes, et qui goûte avec son mari une relation conjugale tout à fait sensuelle (les époux se caressent pendant « La luce langue »).
Sur le plan musical, l’orchestre est finament dirigé par Bruno Bartoletti, et le plateau est mieux que satisfaisant. Enrico Iori a peut-être plus de prestance physique que de brio vocal, mais après tout, il n’est « que » Banquo. Roberto Iuliano est une intéressante découverte en Macduff, et son timbre est suffisamment diférent de celui de Nicola Pascoli pour que leur alliance fonctionne dans le duo « La patria afflitta ». De toute façon, ce sont les deux héros qu’on attend au tournant. Il y a sept ans, Leo Nucci était encore en pleine possession de ses moyens et pouvait compter sur sa longue fréquentation du rôle de Macbeth (entamée en 1987 pour le film de Claude D’Anna). Quelques gestes pertinents (il écrase dans sa main le visage du mercenaire venu lui annoncer la mort de Banquo), quelques attitudes éloquentes (le dernier acte nous le montre ployant sous le fardeau d’un lourd manteau royal tout doré), et le personnage prend chair, servi par une voix expressive. Quant à Sylvie Valayre, si l’on peut parfois lui reprocher un certain savonnage des parties exigeant le plus d’agilité et échappant donc en partie à sa large et grande voix, elle n’en est pas moins une Lady Macbeth stupéfiante, à l’aigu tranchant et à la puissance indéniable, et surtout comédienne à part entière, servant parfaitement une conception originale du rôle. Dénuée de tout histrionisme, mais mise en relief par un détail juste (tous ces mouchoirs jetés à terre, vaniement employés pour effacer « la macchia »), la scène de somnambulisme est interprétée avec sobriété et justesse, et notre compatriote s’offre le luxe d’un suraigu émis en scène et non en coulisses comme tant de ses consœurs.