Le nom de Wilhelm Stenhammar ne dira rien à la majorité des mélomanes en pays francophones. Sauf s’ils ont eu la chance d’assister à un concert de Herbert Blomstedt, qui continue à inlassablement jouer sa seconde symphonie partout où il est invité. Naxos a également contribué à sortir de l’ombre ses deux concertos pour piano, au parfum brahmsien prononcé mais qui révèlent une personnalité attachante. Mais pour ce qui est du domaine vocal, l’œuvre du maître suédois reste presque complètement inconnue en dehors de la Scandinavie.
C’est très injuste. D’abord parce que Stenhammar lui-même y a accordé une importance constante tout au long de sa carrière : deux opéras, 60 lieder, d’innombrables chœurs, plusieurs cantates, …. Il a eu la voix présente au cœur de son processus créatif. Et c’est sans doute dans cette direction qu’il faut pousser pour dénicher son chef-d’œuvre. Ecrite en 1921, Sången est une composition pour orchestre, chœur mixte, chœur d’enfants et quatre solistes. Visiblement transporté par le texte que lui a préparé Ture Rangström, qui célèbre le pouvoir de la musique, Stenhammar met ses tripes sur la table et livre sa partition sans doute la plus personnelle. Tant et si bien que cette musique échappe à la qualification. On a envie tantôt de la qualifier de mahlerienne (la 8ème vient plus d’une fois à l’esprit), de wagnérienne (la nature des mélodies, les intervalles), de straussienne, de sibelienne, … En définitive, elle est tout cela à la fois, mais elle fait surtout la synthèse harmonieuse de tous les courants qui ont marqué le romantisme du Nord de l’Europe, et témoigne d’une maîtrise technique encore plus assurée que les pages instrumentales de l’auteur, tout en gardant une fluidité qui donne une impression d’évidence : cela sonne …comme ça doit sonner. Stenhammar a sans doute réussi là son pari d’une identification complète de l’art à la nature, but suprême recherché par presque tous les compositeurs scandinaves, et on ne comprend pas que cette cantate-symphonie ne soit pas davantage programmée.
Il faut dire que, pour parvenir à cette impression de spontanéité, il aura fallu vaincre énormément d’obstacles techniques. Si cela sonne « simple », c’est loin de l’être pour les interprètes. La partie d’orchestre est non seulement raffinée à l’infini, mais elle demande en plus des qualités qui vont rarement ensemble : endurance, transparence et puissance. L’orchestre symphonique de Göteborg est dans son élément, et il faut saluer l’engagement de tous les pupitres, qui parviennent à faire alterner les grands aplats suaves avec les houles de fracas, sans jamais donner l’impression ni de se relâcher ni d’en faire trop. La baguette décidemment tout-terrain de Neeme Järvi n’est jamais en défaut, et veille à préserver les équilibres délicats de cette composition et sa lisibilité, sans verser dans le pompiérisme où d’aucuns pourraient se complaire. Mêmes qualités de goût chez les chœurs, que ce soient les adultes du Chœur symphonique de Göteborg ou les enfants du Chœur de Nörkopping : bien qu’en nombre imposant, ils ne sonnent jamais massifs, et leur entrain à chanter les louanges de leur art touche au plus haut point. En grand adorateur de la voix qu’il était, Stenhammar n’a pas oublié de réserver à ses solistes des parties que l’on hésitera à qualifier de brillantes, tant leur esprit est loin de la vaine virtuosité. Les outils de la technique sont certes utilisés au maximum de leurs possibilités, mais toujours au service de l’expression. La partie du ténor est véritablement acrobatique, avec des vocalises qui, très loin du bel canto, évoquent une forme sublimée d’animalité. Lars Cleveman s’y montre souverain, avec un art du legato à tomber à la renverse. Un nom à retenir … La soprano ne démérite pas, et Charlotta Larsson affronte sans frémir les innombrables aigus qui hérissent sa partie. S’ils sont un peu plus en retrait par la volonté du compositeur, la mezzo Martina Dike et la basse Fredrik Zetterström ne manquent ni de timbre ni de beauté sonore, et toute l’exécution est marquée du sceau de la plus haute qualité.
En complément de programme, la suite tirée de Roméo et Juliette et les romances pour violon et orchestre illustrent une face plus conventionnelle mais pas moins séduisante de l’art de Stenhammar, et bénéficient d’une interprétation de premier ordre. Un Cd à offrir d’urgence à tous ceux qui croient encore que la musique nordique se résume à la triade Grieg-Nielsen-Sibelius.