Avec Gesualdo, Stradella fait partie de ces compositeurs du XVIIe siècle dont la vie avait de quoi séduire les romantiques : chargé de donner des leçons de musique à la maîtresse d’un aristocrate, il ne trouva rien de mieux à faire que de s’éprendre de la belle, ce qui lui valut de mourir poignardé sur une place publique. En 1837, Adolphe Nourrit et Cornélie Falcon créaient Stradella, grand-opéra de Louis Niedermeyer, dont Véronique Gens a révélé un extrait dans son admirable disque Visions ; quelques années plus tard, le jeune César Franck y allait de son Stradella, opéra très posthumement créé à Liège en 2012 ; et en 1844, Friedrich von Flotow ajoutait à son tour un opéra intitulé Stradella. Plus près de nous, le regretté Philippe Beaussant lui consacrait en 1999 un roman simplement intitulé Stradella ; et avec Ti vedo, ti sento, mi perdo, son dernier opéra créé à Milan à l’automne dernier et repris en juillet prochain à Berlin, Salvatore Sciarrino rendait à son tour hommage au compositeur.
Et pour nous permettre de mieux connaître sa musique, par-delà la légende, l’ensemble Mare Nostrum propose depuis peu les livraisons régulières de son Stradella Project chez le label Arcana, hélas avec des voix pas toujours adéquates. Le disque paru chez Alpha part du principe inverse : plutôt que d’enregistrer une œuvre intégrale, quitte à ne pas vraiment avoir une distribution optimale, il propose un florilège d’extraits, confiés à la très éloquente voix de Chantal Santon Jeffery. Et ce programme a également l’intérêt d’attirer l’attention sur autre chose que la production stradellienne dans le domaine de l’oratorio. En effet, on doit au compositeur plusieurs opéras, créés à Rome et à Gênes entre 1671 et 1681. Pourquoi personne ne semble jusqu’ici s’être sérieusement penché sur ces oeuvres ? Certes, il existe une intégrale de Moro per amore, sa dernière composition dans ce genre (un live paru chez Bongiovanni, en 2015) mais c’est peu, à l’heure où l’on ressuscite à tout va, et ce qu’on entend ici de cet opéra mérite un vrai coup d’oreille. On dira que les drames sacrés de Stradella sont parfois tout aussi théâtraux, mais les livrets profanes nous parleraient peut-être davantage qu’un dialogue entre la Religion et le Monde, par exemple.
Chantal Santon Jeffery prête à ces diverses héroïnes un timbre à la fois porteur d’émotion et capable de virtuosité. Dans Santa Pelagia, il est intéressant de comparer son interprétation à celle, récemment parue, de Roberta Mameli. On pourrait dire que cette dernière privilégie le dessin, et notre compatriote la couleur. Et si elle ne sculpte pas les mots avec la même incisivité que l’Italienne, notre compatriote n’en confère pas moins à son chant une intensité qui atteint tout autant l’auditeur, grâce à un timbre nourri et avec de longues notes tenues, portées par d’abondantes réserves de souffle. Présentant des qualités comparables, les dix instrumentistes du Galilei Consort dirigé par Benjamin Chénier (dont Alpha avait déjà publié l’enregistrement d’une Messe pour la naissance de Louis XIV) la soutiennent admirablement dans cette entreprise, et se font entendre à plusieurs reprises dans des pages purement orchestrales.