L’Eternel féminin nous entraîne vers le haut, selon Goethe, et Marlis Petersen, incarnation dudit Eternel, nous guide vers les sommets de l’art occidental, à travers un stupéfiant parcours qui va des années 1830 jusqu’au début du XXIe siècle, avec en prime quelques inédits au disque.
Le récital propose d’abord un cheminement qui relie les différentes héroïnes imaginées par Goethe : Klärchen dans Egmont (1788), Mignon et Philine de Wilhelm Meister (1795-96), Stella dans la tragédie du même titre (1805), Gretchen dans le premier Faust (1806), Suleika, personnage conçu par Marianne von Millemer mais dont Goethe publia l’histoire dans son Divan occidental-oriental (1819-27) et enfin Hélène dans le second Faust (1831). A cette constellation de personnages féminins s’ajoutent six compositions inspirées par le deuxième « Wandrers Nachtlied » (1780), deux quatrains gravés par Goethe sur le mur d’un abri de chasse en Thuringe, six mélodies dont la date de composition s’étale entre le milieu du XIXe siècle (Schumann et Liszt) et le milieu du XXe (Wilhelm Kempff), en passant par les années 1900 (Charles Ives, Nicolaï Medtner) et l’entre-deux-guerres (Hans Sommer) ; la mise en musique de ces huit vers dure entre 1’25 (Ives) et 3’19 (Liszt).
Dans cette diversité de styles et d’époques, Marlis Petersen trouve l’occasion de faire briller les différentes facettes de son talent. On l’a vue mozartienne en France (Donna Anna à Aix-en-Provence), et l’on a remarqué ses disques consacrés à Brahms ou Schumann (Liebeslieder Walzer, Spanisches Liebeslieder). Parmi les rares concessions du présent disque au répertoire le plus fréquenté, elle offre un beau Schubert joyeux, « Was bedeutet die bewegung ? ». Une quinzaine d’années après que Schubert en eut tiré un chef-d’œuvre, Wagner s’essaye lui aussi à une « Marguerite au rouet », et cette fileuse de 1831 n’est pas loin de celles du Vaisseau fantôme.
Au chapitre des illustres inconnus, le Néerlandais Alphons Diepenbrock (1862-1921) livre quatre ans avant son contemporain Hugo Wolf un charmant « Kennst du das Land ». Toujours dans Wilhelm Meister, Marlis Petersen est une délicieusement frivole Philine chez Wolf, avant d’être une bien belle Mignon. On saluera aussi son interprétation sensible d’un superbe lied de Fanny Mendelssohn.
Plus proche dans le temps, le « Monolog der Stella » mis en musique par Krenek sur des rythmes parfois un rien jazzy invite la chanteuse aux plus ébouriffantes vocalises à la manière d’une Zerbinette, ou du Rossignol dans Les Oiseaux de Braunfels, compositeur « dégénéré » dont on entend également ici une mélodie. Le monologue d’Hélène, composé spécialement pour Marlis Petersen, donne envie d’entendre les opéras de Manfred Trojahn (né en 1949) : Orest, créé à Amsterdam en 2011, ou La Grande Magia, d’après Eduardo de Filippo (2008), à la création duquel la soprano a elle-même participé.
Loin de toute virtuosité échevelée et de tout expressionnisme, les différentes versions du « Wandrers Nachtlied » invitent au contraire au recueillement. Hans Sommer (1837-1922) en donne une version fort émouvante, composée dans les toutes dernières années de sa vie – de même que son autre mélodie figurant sur ce disque, datant d’un an avant sa mort. Sur le même texte, on retiendra aussi la mélodie de Charles Ives. Toute en beauté et en sérénité, la composition de Liszt vient conclure ce disque rare, qu’on ne saurait trop recommander aux amateurs de Goethe, de lieder, et de musique en général.
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