Zürich, d’où nous provient ce Barbiere, fonctionne comme d’autres maisons viennoises ou teutonnes, sous le système de «répertoire». Pratique, peu onéreux, il permet avec peu ou pas de répétitions d’orchestre de monter en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, les œuvres courantes du répertoire. Au sein d’une même semaine, le public a accès à cinq ou six partitions différentes, rentabilisant des productions, quitte à adouber des vieilleries quelque peu indignes. Cet outil permet également d’attirer les «Stars » entre deux avions, n’ayant cure de répéter les spectacles dans un souci de gain de temps. En général, avec un ou deux gosiers glorieux, tout le monde est gagnant. Dans le feu de l’action, l’œil peu regardant, ne s’attardera pas sur des détails mal ficelés tant que l’oreille a son lot bienfaisant. De là à immortaliser ce qui ressemble à une après-midi dominicale, en mode abonnés aux cheveux bleus, cela s’imposait-il vraiment ?
La production de Grischa Asagaroff a bien mal vieilli. Pâlotte et falote, l’effet de loupe de la caméra visiblement peu inspirée dans ses angles, lui est, à plus d’un moment, fatal. On assiste autrement à une aimable transposition début de siècle que l’œuvre supporte aisément. On évite sans doute les espagnolades mais que dire d’éclairages tristounets, de décors en forme de Tournez Manège et ces costumes alla Cavalleria Rusticana pour les hommes et indescriptibles dans l’innommable pour cette pauvre Rosina sensée séduire dans un tel accoutrement… L’œil sera bien à la diète cet après-midi.
Musicalement, Nello Santi par son métier de vieux baroudeur, confère à la soirée les couleurs qui manquent à leur décor. S’il n’a pas une vision particulièrement belcantiste de son Barbiere, il a le grand mérite d’empoigner sa partition et de la mener à bon port, dans l’édition de répertoire avec coupures traditionnelles, sans s’embarrasser d’autre objectif qu’une efficacité rythmique. L’affiche peine à trouver une cohésion tant dans un niveau général que dans les relations entre les personnages. L’Almaviva de Reinaldo Macias se montre fort plébéien de chant et d’allure. Après la révolution de Blake, il nous est difficile sur un support comme le DVD, de concevoir un comte honnête mais sans plus. Le Figaro de Manuel Lanza nous entraîne encore un peu plus bas, à l’image de son diapason que ses forçages en volume n’arrivent guère à compenser. Le chanteur, visiblement n’a pas dû fréquenter beaucoup l’Actors Studio. Pourtant, malgré un humour un peu gras, le baryton finit au fil de la soirée, par emporter une certaine sympathie, mot qui définitivement caractérise bien cette soirée. Grand coup de chapeau, une fois encore, à Carlos Chausson (Bartolo) pour l’ensemble de son métier, son intelligence scénique et son travail vocal : un Grand d’Espagne, définitivement. Enorme émotion de retrouver en Basilio, l’immortel Nicolai Ghiaurov ! Son premier Basilio remonte à 1955, on regarde donc plus le mythe qu’un artiste en pleine possession de ses glorieux moyens. Ses admirateurs se demanderont peut-être si cela était une idée judicieuse de le capter à ce stade de sa carrière, il est pourtant des monuments en ruines qui vous imposent respect et admiration : irremplaçable. Reste le cas de Vesselina Kasarova. La cantatrice bulgare est encore dans ses années d’intégrité vocale au niveau d’un instrument particulier dans son architecture et son utilisation. Ce DVD doit sans doute sa parution à sa présence. Elle y apparait plus matrone que jeune fille à peine pubère, rappelant par moment, les démesures de Horne dans le même emploi. Scéniquement, Kasarova déséquilibre parfois le plateau, Almaviva n’a évidemment aucune autre alternative que de l’épouser. Vocalement, on détournera les yeux lors des gros plans d’aigus dentaires de la cantatrice. Malgré une émission très personnelle à ne pas recommander à tout le monde, sa Rosina, qui ne manque ni de feu, ni de malice, finit, elle aussi, par emporter une certaine adhésion.
Au final ? Une édition pour une série économique par exemple, posant avec acuité le débat sur les objectifs d’un DVD. Les éditeurs, dans leur course au catalogue, n’ayant une fois encore pas rempli leur mission, l’amateur de voix devra faire preuve de curiosité et de patience pour se construire peu à peu une vidéographie digne de ce nom.
Philippe PONTHIR