Gustavo Dudamel n’en est pas à sa première 8e : un DVD, paru lui aussi chez Deutsche Grammophon en témoigne déjà (avec l’orchestre Simon Bolivar). Cette nouvelle gravure fait pourtant déjà date et trouve d’entrée une place de choix dans la discographie de cette symphonie, peut-être la moins aimée de toutes, bien qu’elle fut l’un des rares véritables succès de Mahler de son vivant. On ne présente plus l’ouvrage, sa démesure, son geste artistique tourné vers l’espoir, ce qui lui a valu d’être comparé à la 9e de Beethoven. On rappellera ses stations d’une introduction époustouflante, « Vieni creator spiritus », aux landes désertiques du Faust de Goethe pour s’élever dans un final aussi lumineux que rédempteur.
Gustavo Dudamel retient un tempo allant dans la première partie, sans chercher à battre des records de vitesse. Il obtient le meilleur sur tous les plans : il étage et montre toutes les fondations, les colonnades, la nef, les enluminures de la cathédrale et nous laisse à bout de souffle sur l’accord final après une si rutilante et vertigineuse visite. Les scènes de Faust commencent dans une ambiance idoine, emprunte d’un mystère indicible, traversée par différentes évocations où vient pleurer la petite harmonie sur la scansion des contrebasses et des violoncelles. Les cuivres ont ce son brillant caractéristique des orchestres américains qui convient si bien aux couleurs mahlériennes. Avec la même fluidité évidente, Gustavo Dudamel lance alors le demi-millier d’interprètes réunis dans un crescendo fluide, qui se gorge de couleurs, s’illumine des interventions des solistes, s’extasie dans le chant pur et jovial des chœurs d’enfants jusqu’à l’explosion finale.
Les forces vocales en présence se coulent dans le rythme et l’esthétique d’une telle lecture avec évidence. L’école de chant américaine affirme ici son excellence de part en part. On ne sait qu’admirer en premier : l’homogénéité et la clarté des chœurs adultes – Los Angeles Master Chorale, Pacific Chorale – dont l’énergie déborde, torrentielle, de l’accord d’ouverture à l’orgue… ou bien la présence chaleureuse et joyeuse des chœurs d’enfants – Los Angeles children’s Chorus, National Children’s Chorus – lors de leurs interventions… ou encore la quasi-perfection des solistes réunis.
Car l’octuor de chanteurs tutoie la perfection. Deux mezzo-sopranos héritent des parties parfois dévolues à des contraltos. Un choix judicieux car Mihoko Fujimura et Tamara Mumford disposent de l’épaisseur et de l’ambitus qui donnent toute l’autorité nécessaire à la Samaritaine et Marie d’Egypte. Ryan McKinny déploie une palette tout en clair-obscur qui vient culminer glorieusement dans le « Ewiger Wonnebrand » du Pater Ecstaticus. Du Pater Profundus, Morris Robinson dispose du timbre de jais abyssal doublé d’un mordant sans faille. Tamara Wilson confirme toute la solidité et l’ampleur de ses moyens vocaux. Sans surprise, elle domine dans les ensembles tout en maintenant une voix aux échos boisés. Elle trouve les justes accents dans les interventions de la Magna Peccatrix de la deuxième partie. Leah Crocetto allie cristal du timbre et un certain piquant dans une évocation ironique de Gretchen, la pénitente. Erin Morley réalise un petit miracle en Vierge Marie : la voix est aussi agile que capiteuse, enrobée d’un vibrato duveteux, ce qui lui confère un brillant et une douceur assez inouïs dans cette partie tant redoutée. Simon O’Neill enfin s’engage avec une endurance toute wagnérienne. Qui dit Wagner dit aussi nasalité du timbre : ce Doctor Marianus n’est peut-être pas le plus beau de la discographie mais ses interventions sont immédiatement dramatiques comme s’il célébrait chaque fois un triomphe quasi opératique où que Siegfried retrouvait sa forge.
Enfin, outre son excellence musicale qui la place dans le haut de la discographie sans hésitation, ce qui fait l’autre force de cette gravure c’est la fantastique prise de son réalisée par les équipes de Deutsche Grammophon. La captation s’est faite live en trois jours en mai/juin 2019 au Walt Disney Concert Hall de Los Angeles. Les ingénieurs de la maison de disque ont profité des dernières technologies développées pour proposer une immersion assez incroyable. On se trouve comme placé au chœur de l’auditorium, sans l’effet de distorsion du volume que l’on peut vivre dans une salle de concert en fonction de là où l’on est assis. On retrouve donc l’épaisseur et la réverbération d’une salle symphonique sans tomber dans le travers « son de cathédrale » qui caractérise certains des grands enregistrements de l’œuvre, celui de Solti chez Decca en 1971 en premier lieu. Nous l’avons écouté bluffé en format lossless numérique mais nul doute que sur une chaîne haute-fidélité le résultat est encore plus probant… à tel point que l’on conseillerait aussi l’acquisition de ce coffret ne serait-ce que pour tester vos futures achats en matériel HiFi.