Ce disque, réalisé du 26 au 28 février 2020 dans la Himmelfahrtskirche Sendling de Munich, brille d’abord par une originalité, celle de présenter dans son livret une interview de Telemann par l’un des musiciens, le Slovène Domen Marincic. Nous sommes conviés au fil des mots, à un dialogue imaginaire, à revisiter la vie du compositeur. Brilliant touche à tout, Telemann apprend la musique en autodidacte. Il embrasse toutefois le droit pour se tisser des relations qui le ramèneront sur les rives musicales et notamment celles de Sorau en Pologne où il sera Maître de Chapelle. Cette interview imaginaire intelligemment menée est à la fois une belle parenthèse introductive et un plaisir de lecture qui capte d’emblée l’attention sans que l’on ait encore écouté une note de l’album. Ce qui nous fait du coup regretter le manque d’originalité de la plupart des éditions discographiques. Et pourtant, une inspiration davantage ludique n’enlève rien au contenu informatif, et nous place au contraire d’emblée dans d’excellentes conditions d’écoute.
Le présent disque est un bouquet de pièces davantage instrumentales que vocales, tirées essentiellement des 72 cantates d’église des années 1725/1726, Harmonischer Gottesdienst. La flûte à bec de Stephan Temmingh domine l’ensemble, ce qui n’est pas pour déplaire, l’instrument étant rarement mis en lumière. Cette variété de pièces expressives et nuancées, alternant allégresse et recueillement, entraîne l’auditeur dans un univers où la poésie répond en écho au langage de la musique. A l’écoute, on sent l’aisance des interprètes, tant dans les récitatifs mélancoliques de la cantate Du bist verflucht, o Schreckensstimme, entre expiation et rédemption, que dans des pièces plus enlevées tel In gering und rauhen Schalen, contenant une série de récitatifs courts qui exhalent la lumière. Et dans ce dialogue entre ciel et terre, les interprètes sont pour l’auditeur des passeurs qui glissent d’une rive à l’autre, avec grâce et légèreté et donnent à ce disque un air printanier fort à propos.
La soprano allemande Dorothee Mields est ici dans son jardin dans ce programme qui permet à l’auditeur de se laisser séduire par une voix souple au timbre clair exprimant aussi bien les émotions retenues dans le recueillement qu’une lumineuse ferveur dans la dévotion. La prononciation est limpide et épouse avec une aisance déconcertante les aigus comme les graves dans une interprétation sobre mais efficace. Sans doute pourrait-on souhaiter davantage de caractérisation vocale, mais l’instrument, aux belles couleurs chaudes joliment timbré, sait donner vie et corps aux textes, sans céder à la facilité d’inutiles excès de virtuosité vocale. Stefan Temmingh à la flûte à bec se taille la part du lion dans ce programme, l’espace accordé à l’instrument étant conséquent. A cet égard, on peut parfois regretter que cette échappée belle en solo s’installe parfois dans de trop longues séquences musicales. Mais l’instrumentiste sait aussi à merveille jouer la complémentarité avec la soprano, en tissant autour d’elle un tissu aux sonorités chaleureuses, pétri de nuances virtuoses et attentive à chaque inflexions de la voix, qu’elle épouse avec délicatesse et subtilité. On est envouté par ce séduisant dialogue dont chaque note est semblable à la poésie.
Daniel Rosin au violoncelle, Domen Marincic à la viole, et Wiebke Weidanz au clavecin, offrent un beau soutien instrumental aux deux artistes. Les trois instrumentistes assurent le continuo, de surcroit rehaussé par la belle définition sonore de l’enregistrement qui donne une facture et un charme certain à l’ensemble. Un bon disque qui fait entrer un air printanier dans notre quotidien confiné et dont il serait dommage de se priver.