Sur la pochette, une photo au charme désuet semble renvoyer aux années 1960, et Daniel Behle ne déparerait pas dans un OSS 117. Mais malgré son physique de James Bond germanique, le jeune ténor en smoking n’a pas un format héroïque. C’est avec une voix très légère qu’il aborde le répertoire straussien, et ses moyens ont évidemment – et très raisonnablement – guidé ses choix à l’intérieur d’un catalogue abondant. On saluera la cohérence de son programme, qui tient en partie à ce que trois recueils entiers ont ici été retenus. Chose devenue rare, le disque nous laisse écouter ces pièces ensemble et dans l’ordre où le compositeur les a réunis, sans les disperser comme c’est de plus en plus la mode dans les récitals straussiens : le très beau disque de Diana Damrau faisait ainsi éclater les extraordinaires Brentano Lieder, et tout récemment Soile Isokoski insérait ici et là au cours de son programme quelques mélodies piochées au sein de l’opus 10 et de l’opus 19.
Le livret d’accompagnement rappelle que ce « Lyrischer Tenor » s’est fait remarquer en Tamino, et qu’il a déjà enregistré plusieurs disques, consacrés notamment à Schubert et Schumann. On ne trouvera ici que des lieder de jeunesse de Strauss – aucun n’est postérieur à 1900 – et la comparaison est instructive avec le disque que Jonas Kaufmann a consacré au même compositeur en 2007 : si les deux programmes se recoupent souvent, la manière d’aborder les œuvres n’est pas du tout la même, puisque là où Behle s’avance en général sur la pointe des pieds, Kaufmann n’hésite pas à déployer la grosse artillerie dont il dispose. Les deux options se défendent, il suffit de savoir à quoi s’attendre. Le ténor explique d’ailleurs ses choix interprétatifs dans le livret, en commentant les partitions, ce qui est réellement écrit et ce qui relève de traditions contestables (respirations, notes tenues, ralenti intempestif, forte ajouté, etc.), en accord avec son pianiste, le délicat Oliver Schnyder.
Sans exiger du chanteur une vaillance qu’il n’a pas, on peut quand même se demander s’il ne reste pas parfois un peu en deçà des exigences de cette musique. Daniel Behle négocie très habilement son parcours, il donne de la voix quand il le faut, mais le résultat déçoit par moments. Ainsi, le dernier « Habe dank » de « Zueignung » manque singulièrement d’éclat. Le grave n’est pas toujours très audible (qu’entendrait-on en concert ?). « Morgen » pourrait être plus éthéré, mais cela tient peut-être au fait que l’oreille y est plus habituée à une voix féminine. Richard Strauss n’aimait guère les ténors, on le sait, mais il leur a quand même laissé – malgré lui ? – un bien beau répertoire…