Première création mondiale au Met en 24 ans, The Ghosts of Versailles fut, en décembre 1991, un extraordinaire triomphe public, événement rare pour un ouvrage contemporain, la critique professionnelle se divisant classiquement entre pour et contre suivant les écoles. L’ouvrage y fut repris en avril 1995 avant d’être créé à Chicago en octobre de cette même année dans une version révisée. En 2009, John David Earnest en a simplifié l’orchestration pour l’Opéra de Saint-Louis et cette version a été sporadiquement donnée aux Etats-Unis avant le retour de la version révisée au Los Angeles Opera proposée ici (près de trente minutes moins longue que la version originale et sans orchestre de scène).
Le livret brillant de William M. Hoffman est lointainement inspiré de La mère coupable, dernier ouvrage de la trilogie de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (Darius Milhaud avait créé un opéra directement inspiré de cette pièce en 1966). L’intrigue est riche en rebondissements dramatiques, mais le texte est aussi plein de bons mots. Il n’est pas inutile de donner un résumé simplifié de l’ouvrage. Au purgatoire, les nobles victimes de la Révolution s’ennuient. Beaumarchais courtise Marie-Antoinette mais Louis XVI s’en moque d’autant plus que celle-ci, neurasthénique, ne répond pas aux avances de l’auteur dramatique. La reine est toujours hantée par le souvenir de son exécution. Toute la compagnie attend le nouvel ouvrage que Beaumarchais a composé, Un Figaro pour Antonia. Pour Beaumarchais, il ne s’agit pas que de distraire l’assemblée, mais surtout de changer le cours de l’histoire qui a mené à l’exécution de la Reine, en empêchant la vente de ce qui deviendra « le collier de la Reine », affaire qui entacha injustement la réputation de Marie-Antoinette. Le spectacle commence avec le monologue survolté de Figaro aux prises avec ses créanciers et des maris jaloux. Le comte Almaviva, ambassadeur d’Espagne, doit vendre le collier à son homologue britannique lors d’une réception à l’ambassade turque. Almaviva s’est séparé de la comtesse qui a eu un enfant de Cherubino, mort depuis dans un duel. Ce fils, Léon, est amoureux de Florestine, fille illégitime d’Almaviva, mais Almaviva a promis la main de sa pupille à Bégearss, un irlandais intrigant qui est en fait un espion au service des autorités révolutionnaires. Congédié par Almaviva, Figaro découvre que Bégearss projette de voler le collier lors de la réception. Déguisé en danseuse, dans une scène d’un burlesque achevé, Figaro réussit à s’emparer du collier.
Acte II. Les fantômes commencent à croire que Beaumarchais va effectivement modifier le passé. Mais quand Figaro revient, il se ravise et refuse de rendre le collier : la reine mérite la mort qui l’attend, la vente du collier permettra à tous de s’enfuir de France. Perdant prise sur son héros, Beaumarchais entre dans la pièce de théâtre, mais il perd ainsi tous ses pouvoirs sur ses personnages (il se présente avec un emphatique « Je suis ton Créateur ! » … sans effet). Il recrée alors pour Figaro le procès à venir de Marie-Antoinette. Emu par l’injustice des accusations d’inceste qui lui sont portées, le jeune homme accepte de suivre le plan de Beaumarchais. Mais Bégearss aidé de ses sbires, reprend le collier et fait mettre les Espagnols au cachot, en compagnie de Marie-Antoinette. Figaro et Beaumarchais ont toutefois réussi à s’échapper. Lorsque Bégearss vient réclamer la main de Florestine, Figaro surgit et l’accuse devant les révolutionnaires d’avoir gardé pour lui-même le collier confisqué pour la Révolution. Les Espagnols profitent de la confusion pour s’enfuir, laissant Beaumarchais avec le collier et la clé de la cellule de Marie-Antoinette. Mais la reine refuse d’échapper à son destin, ce qui détruirait leur amour dans la mort, et accepte, rassérénée, l’exécution qui lui fera retrouver Beaumarchais dans l’au-delà.
La partition de John Corigliano utilise deux types d’écriture : une composition « moderne » pour le monde des fantômes, et un faux pastiche pour l’opéra de Beaumarchais, avec des mélodies qui s’imposent d’emblée à la mémoire, comme le magnifique duo de la rencontre de Rosina et Cherubino (qui devient quatuor avec Marie-Antoinette et Beaumarchais) ou la danse burlesque de Samira aux côtés de Figaro, avec ses vocalises improbables (à partir de 5mn 50 ; pour les âmes sensibles, rappelons qu’il s’agit d’un Grand Opera buffa). Ces morceaux peuvent faire penser fugitivement à Mozart et Rossini, mais ils n’évoquent que très lointainement leurs styles. La partie « moderne » comprend aussi ses morceaux de bravoure, le premier air de Marie-Antoinette, l’air de Bégearss « The worm » (Le ver), la grande scène du procès de Marie-Antoinette ou son ultime duo avec Beaumarchais qui se conclut par une reprise du thème de la rencontre.
L’interprétation de cet enregistrement n’est malheureusement pas à la hauteur de celle de la création dont la captation vidéo est toujours disponible. Patricia Racette peine à maîtriser un instrument un peu usé et ne prend pas le temps de composer un personnage émouvant. Christopher Maltman est un Beaumarchais impeccable de style, mais qui se sent bien seul dans ses duos. Lucas Meachem est un Figaro pétulant et Robert Brubaker est irrésistible dans le rôle de l’abominable Bégearss. C’était une très mauvaise idée en revanche de proposer à Patti LuPone, diva de Broadway, de reprendre un rôle écrit pour Marilyn Horne : sans doute ce choix a-t-il permis d’attirer un public plus large, mais nos oreilles saignent à plusieurs reprises. La direction de James Conlon est vive et alerte. La prise de son n’est pas formidable, même pour un live, et on aurait plus apprécié cette reprise au travers d’une captation vidéo qu’avec ce simple enregistrement audio.