On peut être la plus grande basse du monde et se rêver ténor. Né à Milan en 1923, interprète de Zaccaria dans Nabucco en 1946 pour la réouverture de La Scala, Cesare Siepi fut invité à New York dès 1950. Il avait 27 ans, l’âge tendre pour une voix grave, et pourtant le chanteur était déjà prodigieux. Le timbre, l’allure, la diction, le charme, l’intelligence théâtrale : c’est peu dire qu’il avait tout. Courtisé par les plus grandes scènes, il fut aussi rapidement repéré par les maisons de disque. Son nombre total d’enregistrements dépasserait le chiffre de 120.
Adulé, célébré comme rarement basse ne fut, grisé peut-être par son succès, il eut l’étrange idée au début des années 1960 de défier les ténors sur leur propre terrain : la mélodie napolitaine. Le cross over était déjà dans l’air du temps. En digne héritier d’Ezio Pinza, Cesare Siepi se produisit à Broadway. Il s’offrit même le luxe d’enregistrer Cole Porter en 1955. Mais la chanson italienne…
Pourtant, ce Songs of Italy, réédité aujourd’hui en CD, fait partie des récitals Decca les plus demandés, si l’on en croit l’intitulé de la collection. Est-ce à dire que Cesare Siepi transformait en or tout ce qu’il chantait ? Voire. L’immixtion d’une voix sombre dans un répertoire anticyclonique peut déranger. Siepi devait s’en douter, à en juger la manière dont il tente d’alléger l’émission pour faire oublier les nuages dont sa tessiture encombre un ciel censément radieux. Ligne et longueur ne sont pas des obstacles pour celui qui, à l’opéra, en franchissait des plus périlleux mais l’aigu souffre par comparaison d’un défaut d’éclat. Surtout, cette musique, qui d’ordinaire s’écoule avec une spontanéité irrésistible, apparait ici contrainte par les efforts déployés pour séduire. Quelques interventions ridicules du chœur (« Funiculi, funicula ») et la direction sans inspiration de Dino di Stefano contribuent à disqualifier définitivement l’incursion dans un répertoire inadapté à une voix de basse, fut-elle la plus grande du monde.
Tout autre est l’impression laissée par les cinq airs d’opéras ajoutés ensuite pour rendre la durée du CD conforme à la norme. Tout Cesare Siepi est dans ces quelques numéros : Mozart – Leporello certes plutôt que Don Giovanni, mais quelle classe, trop presque pour un valet ! – ; le grand opéra français empoigné d’une main gantée de satin noir et un extrait du rare Salvator Rosa du compositeur brésilien Antônio Carlos Gomes, preuve d’une curiosité musicale qui amena Siepi à enregistrer également en 1976 L’amore dei tre re d’Italo Montemezzi. Sauf que quatre de ces cinq titres ayant déjà fait l’objet d’un report digital, ils ne sauraient justifier à eux seuls l’écoute préalable de ces égarements napolitains.