Pris entre ces deux écueils que sont le refus de toute intelligibilité du texte et l’imitation pusillanime de la musique des grands anciens, l’art de la mélodie s’avère aujourd’hui particulièrement difficile à cultiver. Il faut avoir les épaules solides pour arriver à y exprimer une réelle personnalité, tout en produisant un résultat de nature à captiver l’oreille.
Née en 1965 en Bulgarie, installée au Luxembourg depuis 1996, Albena Petrovic ne fait pas partie des quelques compositeurs vivants dont les médias se sont emparés. Ses œuvres ne sont pas créées en fanfare dans les lieux les plus branchés du petit monde de la création musicale. C’est surtout dans son pays d’adoption que l’on joue ses compositions, mais l’on remarque parmi les artistes ayant assuré la première de certains de ses morceaux le nom de Donatienne Michel-Dansac, qui est quasiment un gage d’avant-gardisme tant la soprano reste associée à la figure de George Aperghis et à bien d’autres encore. Albena Petrovic a sa page Wikipédia, en anglais uniquement, et des plus succinctes.
Et pourtant, à l’écoute du disque The Voyager, publié par Solo Musica, label munichois, on est immédiatement conquis par un ton dont l’originalité évite tout asservissement ou tout excès caricatural. Voilà quelqu’un qui sait écrire pour la voix sans la torturer et sans faire du Puccini ou du Poulenc, et cela seul serait déjà un immense mérite. En 2016, Gega New, filiale de Naxos, avait publié Crystal Dream, un disque de pièces pour piano, interprétées par le pianiste suisse Romain Nosbaum, que l’on retrouve pour The Voyager, non plus comme soliste mais comme accompagnateur. Si l’on peut dire, car la partie pianistique de ces mélodies – ou airs d’opéra – est loin de se limiter à un simple arrière-plan : parfois chargé de manipuler de petites percussions, l’instrumentiste est ici responsable de la création d’un univers sonore au même titre que la voix, en l’occurrence celle de Véronique Nosbaum, sœur du pianiste. Cette soprano luxembourgeoise chante dans un français parfaitement limpide, et dans un anglais de bon aloi ; son timbre est clair, mais sans cette froideur ou cette acidité qui est parfois le fait des spécialistes de la musique contemporaine. Sans exiger d’atteindre les notes les plus extrêmes dont soit capable la voix humaine, ces partitions supposent un organe tout à fait à l’aise dans l’aigu : il n’y a pas seulement à dire, il y aussi réellement à chanter.
Du côté des interprètes, donc, tous les ingrédients de la réussite sont réunis. Quant aux œuvres, leur diversité permet une écoute où l’attention est constamment relancée.
On l’a dit, certaines des treize plages de ce disque sont en fait des airs extraits de l’opéra The Dark, créé en juin 2016 à Luxembourg. Ces trois « airs » sont écrits sur un livret dont Albena Petrovic est elle-même l’auteur. C’est également la compositrice qui est l’auteur de la plupart des textes de son recueil Love Songs, créé en 2014. Les deux mélodies sur des poètes de l’écrivain luxembourgeois Lambert Schlechter (né en 1941) placées en fin de programme répondent aux deux premières du disque, sur un texte du Franco-luxembourgeois Marcel Noppeney (1877-1966) et sur le poème « Le piano » de Verlaine.