Créé en 1992 par Luc Famaey, le label Phaedra se consacre avant tout à la défense et illustration des compositeurs belges, qu’ils soient flamands ou wallons. On connaît surtout la série « In Flanders’ Fields », qui compte déjà plus de 80 volumes, dont l’un sur lequel Nina Stemme a gravé son interprétation des Wesendonck Lieder avec accompagnement de piano, mais il existe aussi une autre série, « Phaedra Classics », qui s’ouvre au répertoire de tous les pays. Christophe Rizoud a récemment rendu compte du numéro 29, consacré à des mélodies de Tosti, et ce récital enregistré par Marco Vinco avait été précédé par un numéro 28 entièrement britannique dans son programme. Mais s’il nous transporte Outre-Manche par les compositeurs qu’il inclut, This Wing’d Hour reste solidement ancré dans le Plat Pays avec ses interprètes, le ténor belge Yves Saelens, et son élégante accompagnatrice, la pianiste Inge Spinette, chef de chant au Théâtre de la Monnaie depuis une vingtaine d’années.
La musique anglaise peine toujours à s’exporter, en dehors celle de Benjamin Britten, ici représenté par une œuvre de jeunesse. Ce disque permet donc de se familiariser avec trois autres œuvres qui datent toutes de la première moitié du XXe siècle, mais qui n’ont pas forcément grand-chose en commun.
On pourrait rapprocher Roger Quilter et Ralph Vaughan Williams : leurs deux œuvres sont presque exactement contemporaines et la musique en sonne assez semblable. C’est plus par leurs textes qu’elles se distinguent l’une de l’autre. Quilter a choisi le XVIe siècle, avec les poèmes guillerets de Robert Herrick, alors que Vaughan Williams opte pour les sonnets plus abscons du pré-raphaélite Dante Gabriel Rossetti. Des années 1930 datent les mélodies de Finzi et celles de Britten, que tout oppose en revanche : si la musique de Gerald Finzi sonne un peu moins 1900 que celle de ses deux prédécesseurs, elle n’en pas moins éloignée de la modernité radicale de Britten. Quant aux poèmes, le premier opte pour des extraits de pièces de Shakespeare, alors que le second met en musique des textes tout récents de son mentor W.H. Auden.
Pour chanter tout cela, il fallait évidemment un artiste maîtrisant l’anglais : s’il n’a pas tout à fait la diction d’un acteur britannique, Yves Saelens n’en articule pas moins fort correctement la langue de Shakespeare, fruit peut-être de son passage par la Juilliard School. Quant à son timbre, sans être le plus suave qui soit, il a l’expressivité d’un Peter Pears – pour qui les Britten ici enregistrés ne furent pas écrits puisqu’ils sont antérieurs à la rencontre du compositeur avec son interprète fétiche. Dans ce répertoire, c’est l’intelligence du texte qui passe avant tout, et sur ce plan, le ténor belge remplit pleinement son contrat. Evidemment, par son génie, Britten écrase un peu son entourage, mais une écoute attentive révélera de grandes beautés chez ses compatriotes : de Ralph Vaughan Williams, on entend ici l’une des mélodies les plus célèbres, « Silent Noon », et Finzi se montre assez inspiré pour s’affranchir du modèle élisabéthain. On This Island reste le produit d’appel, mais on aurait tort de bouder les autres titres de ce disque raffiné.