Ce coffret, réédition en série économique, vient opportunément nous rappeler le grand baryton-basse qu’est Thomas Quasthoff. Sans compter ses immersions dans le jazz, rares sont les œuvres importantes écrites pour sa voix qu’il n’ait abordées. Le programme en est attrayant : trois CD de lieder de Schubert et de Schumann, essentiels, et des airs de concerts écrits pour basse par Mozart, avec quelques airs d’opéras.
Est-il partition vocale davantage et mieux illustrée que Winterreise, l’aboutissement de l’art schubertien ? C’est possible, mais force est de reconnaître que les dizaines de versions disponibles, réunissant les plus grands chanteurs comme les meilleurs pianistes, nous incitent à multiplier les galettes. Celle retenue pour ce coffret est la toute première – et la meilleure – qu’il grava, il y a vingt ans. Dès la marche inexorable de Gute Nacht, on est en dehors des sentiers battus. La variété des climats surprend : accablé, enfiévré, avec d’étonnantes accélérations et suspensions, le lied annonce bien les choix interprétatifs. L’expression est superlative, servies par une diction exemplaire : les moyens vocaux de ses débuts, avec des aigus clairs comme un medium et des graves bien timbrés. Le souffle, long, est au service de phrasés également étonnants. Halluciné, véhément, accablé, pensif, l’intelligence de la déclinaison musicale du texte est manifeste, comme la liberté, partagée par Charles Spencer, pianiste préféré de Christa Ludwig.
Des lieder de Schubert d’après Goethe constituent l’essentiel du deuxième CD. L’ensemble est réjouissant, toutes les qualités signalées sont bien présentes. La gravité dramatique, violente et désespérée de Prometheus, la progression des variations de Ganymed, la légèreté de Der Musensohn, tout est juste, Thomas Quasthoff et son partenaire confèrent à ces interprétations un ton personnel qui en renouvelle l’approche.
De Schumann, l’enregistrement propose, entre deux cycles très connus, Dichterliebe et le Liederkreis sur des poèmes d’Eichendorff, le plus rare troisième volume des Romances et ballades, et Belsatzar (Heine). Boudé par la critique à sa sortie, qualifié même de « déroute », ce CD ne mérite pas une telle infamie. Ici encore, le baryton et son pianiste, Robert Szidon, impriment leur marque. Le lyrisme et la sensibilité habitent chaque texte, dont la géniale parure musicale n’est qu’un attribut. Le célèbre In der Fremde qui ouvre le Liederkreis est superbe de vérité vocale et pianistique. Les nuages courent dans les arpèges du piano, soutenus par le flux du soutien vocal, un grand moment. Chaque lied appellerait un commentaire tant l’approche du chanteur et du piano est singulière. Tout est clair, le corollaire étant que l’on cherche parfois le mystère.
Mozart accompagne toute la carrière du chanteur. Le dernier CD nous propose les cinq principaux airs de concert écrits pour basse, suivis de trois airs de la Flûte enchantée (Sarastro, Papageno) un des Noces de Figaro (le comte, n°17) et deux de Don Giovanni où il incarne tour à tour celui-ci (Deh, vieni alla finestra) et Leporello (air du catalogue). C’est la jeunesse et la vigueur du chant qui, d’emblée, impressionnent. A cet égard, Papageno lui convient davantage que Sarastro, à l’autorité insuffisante. L’orchestre, plus qu’honnête sous la direction de Jörg Faerber, lui tisse un bel écrin, particulièrement dans Per questa bella mano, avec la contrebasse solo, virtuose, mais humble. Une sorte de résumé de l’art de Mozart.
La réédition, économique, est dépourvue de tout livret, donc des textes chantés et de leur traduction. Mais les amateurs les trouveront aisément s’ils n’en disposent pas déjà.