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Tiens-toi droite et chante !

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Livre
5 août 2015
Droiture, engagement et humanisme d’une femme libre

Note ForumOpera.com

2

Infos sur l’œuvre

Détails

Jessye Norman

Tiens-toi droite et chante !
Préface de James Levine

359 pages
Edition Fayard, avril 2015

20,90 euros

Il y avait les livres de savoir-vivre et de bonnes manières de Nadine de Rothschild, il y a maintenant le livre de savoir penser et se tenir de Jessye Norman. Car les prétentions de l’ouvrage, dans sa première partie (p. 1 à 166) sont immenses. Il s’agit ni plus ni moins d’un plaidoyer (cause oh combien noble et justifiée mais un peu déplacée ici sur une telle longueur) contre le racisme, les préjugés et l’intolérance. Les aficionados de la diva et les amateurs d’opéra risquent certainement d’être déçus d’avoir à attendre la page 167 pour découvrir enfin ses commentaires sur l’art lyrique et sa vie professionnelle. Ils pourront y suivre, esquissées à très grands traits, sa carrière commencée en 1970 (et qui ne semble pas s’être arrêtée), ses trois années en troupe au Deutsche Oper, suivie d’une absence de la scène pendant une dizaine d’années (sans arrêter concerts ni récitals). Car la diva a toujours souhaité avant tout rester maîtresse de sa voix, de ses choix et de sa carrière.

L’environnement familial, et notamment le clan féminin, a joué un rôle fondamental dans la formation de la fillette qui chantait à l’église, et qui, Cendrillon heureuse, écoutait le samedi après-midi en faisant le ménage les retransmissions en direct du Met. Le fait d’être noire, dans les années 50, nécessitait dans l’environnement américain de l’époque un engagement de chaque instant, tout particulièrement à Augusta (Géorgie) où elle est née. Le lecteur n’apprendra toutefois ni sa date de naissance (15 septembre 1945), ni beaucoup d’éléments précis ; en revanche, des impressions, des idées générales, souvent généreuses et altruistes, mais trop pleines de bons sentiments. La jeune fille se bat aussi à l’école contre la théorie du genre, et n’admet pas que les filles soient cantonnées dans l’économie domestique, et les garçons dans les ateliers bois. Sa conception du féminisme, tout à fait légitime, ne paraît pas pour autant vraiment convaincante.

La personnalité de la jeune femme semble surtout pétrie du carcan religieux de son enfance et de son appartenance afro-américaine. Mais avec l’âge, les choses se bonifient et se simplifient, et elle avoue d’une manière fort sympathique, à la page 314, partager les sentiments de son amie Christine, qui prêche une jolie règle de vie : « Lorsqu’on a réussi à atteindre un certain âge, on se fout de ce que pensent les autres de ce qu’on dit, fait ou pense soi-même. Je suis arrivée à certaines conclusions sur la vie, et j’en parle très volontiers. Pourquoi supporter les imbéciles si l’on n’y est pas obligé ? Pourquoi faire une chose que l’on n’a pas vraiment envie de faire, tant que l’on ne fait pas de tort à une autre personne ? »

Du point de vue professionnel, elle est tout à fait consciente de ce qu’impose de chanter sur scène, et insiste sur le jeu d’acteur : « Pouvoir communiquer ces émotions quotidiennes est la base, l’impulsion du jeu d’acteur. Le jeu d’acteur doit soutenir le travail du chanteur sur scène » (p. 222-223). On retient tout particulièrement le soin immense qu’elle met dans tout ce qu’elle fait, comme effectuer des recherches musicologiques en archives, ou apprendre la langue dans laquelle elle devra chanter. C’est le cas du français, qu’elle adore ; on n’est donc pas surpris de voir Simone de Beauvoir citée dans le texte : « La vie garde un prix tant qu’on en accorde à celle des autres à travers l’amour, l’amitié, l’indignation, la compassion ». Car Jessye Norman aime tout le monde, et la terre entière, sauf les critiques lyriques et littéraires, « ceux dont le métier est de juger le travail des autres » (p. 161).

Droiture, engagement et humanisme d’une femme libre ne font malheureusement pas forcément un bon livre. Celui-ci, un peu désordonné et souvent répétitif construit par Denene Millner à partir des notes rédigées par la diva, laisse un peu le lecteur sur sa faim. Les anecdotes sont assez nombreuses, mais rarement très intéressantes, comme ce qui concerne la question des annulations (p. 265). Étant donné la vénération que lui voue le public français, on pouvait s’attendre à des commentaires sur ses passages dans notre pays. Rien sur l’Aïda mythique de Prestige de la Musique en 1973, montrant que pour la cantatrice il n’était qu’un concert parmi mille autres, alors que pour les spectateurs parisiens il était exceptionnel. Rien non plus sur ses récitals à l’Opéra Garnier et salle Gaveau. Seules trouvent grâce à ses yeux ses prestations à l’Opéra-Comique et au festival d’Aix. En revanche, plusieurs pages concernent la Marseillaise qu’elle a interprétée place de la Concorde le 14 juillet 1989 (p. 270-275), au grand dam des cantatrices françaises de l’époque, évincées alors qu’elles se voyaient déjà dignes émules de Marthe Chenal.

Beaucoup sur les hommes politiques et personnalités qu’elle a rencontrés, peu sur ses confrères et consœurs, qui tous sont cités sans nom ou avec des pseudonymes à l’exception de Marian Anderson qu’elle admire par-dessus tout. Quasiment rien non plus sur les pianistes qui l’ont accompagnée. Néanmoins, elle avoue le plaisir qu’elle a à faire de la musique de jazz avec des amis, ou qu’elle a eu à travailler avec des compositeurs vivants, comme Michael Tippett ou Olivier Messiaen. Et puis elle reconnaît ce qu’elle doit aux cours de Pierre Bernac à l’université de Michigan, à qui elle rend un hommage appuyé. La discographie et la vidéographie de Jessye Norman sont immenses, mais là encore, peu ou pas de commentaires, tout au plus une appréciation sur une vidéo : « Je trouve que le film de la production d’Œdipus Rex est l’un des rares films d’opéra vraiment excellents qui soient disponibles » (festival de Matsumoto 1993, p. 232).

Au total, on est plutôt déconcerté par cet ouvrage où l’on n’arrive pas à découvrir la vraie personnalité de la femme ni de l’artiste, qui refusent l’une et l’autre de se livrer, préférant se cacher derrière une carrière ô combien prestigieuse, mais qui paraît s’être déroulée sur des certitudes existentielles d’une grande rigidité. La traduction est plutôt fluide et agréable à lire, encore que l’on relève quelques imprécisions dans le domaine musical ou technique (par exemple le traducteur ignore ce qu’est un « distributeur de 45 tours », écrit « pièce » au lieu de « morceau », et traduit « dans la mauvaise mesure [musicale] » par « dans le mauvais mètre »). L’ouvrage possède un index, mais aucune illustration, ce qui est vraiment très dommage. On regrette aussi l’absence de la liste des œuvres à son répertoire, et d’un résumé de carrière.

 

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Préface de James Levine

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