Avant de devenir un des piliers de l’Académie royale de musique, Cherubini eut une première carrière italienne, comme un disque récent nous le rappelait. Mais à partir de 1788 et jusqu’à la fin de sa vie, presque toutes ses œuvres furent créées à Paris (notamment un Ali-Baba exhumé l’an dernier). C’est à ses premières années parisiennes qu’appartient ce mystérieux Koukourgi, composé vers 1793 mais laissé inachevé et jamais représenté. Succédant immédiatement à Lodoïska (dont devrait bientôt paraître la version enregistrée par Jérémie Rhorer et le Cercle de l’Harmonie), cet opéra-comique a pour rôle-titre un anti-héros réunissant toutes les tares possibles : fils à maman, paresseux, glouton, buveur, lubrique, couard, tyrannique, etc. De là à conclure qu’il incarne l’aristocratie décadente dans un pamphlet révolutionnaire, il y a un pas qu’on ne franchira pas forcément.
L’opéra de Klagenfurt a choisi de créer scéniquement cette partition lacunaire, en bouchant certains trous mais pas tous. Si l’édition critique utilisée complète Koukourgi en lui ajoutant l’ouverture d’Ifigenia in Aulide (1788), et prend pour finale du dernier acte celui que Cherubini composa pour La Molinarella de Paisiello (1789), les dialogues parlés, perdus, ne sont remplacés que par de très brefs échanges entre les personnages, Koukourgi lui-même faisant office de narrateur (en allemand), sans rendre toujours très explicite une action sans doute peu palpitante à l’origine. La mise en scène de Josef E. Köpplinger joue avant tout la carte du comique, et s’inspire des films d’action extrême-orientaux pour transformer la tendre Zulma en héroïne maîtrisant les arts martiaux ; il est réjouissant de la voir dégainer le sabre à la moindre occasion et effectuer des bonds la propulsant d’un bout à l’autre de la scène, même si cela ne coïncide guère avec la passivité que lui inflige le livret. Très colorés, les décors et costumes composent des images agréables à l’œil.
Comme l’avouait notre confrère dans son compte rendu du spectacle, il faut bien reconnaître que l’intérêt musical de cette œuvre est quasiment nul. Cherubini ne semble guère avoir été inspiré par ce livret, dont la chinoiserie ne trouve guère d’échos dans la partition ; aucun air marquant, mais beaucoup de délayage. Le théâtre de Klagenfurt s’est fait remarquer par cette « première mondiale », mais n’aurait-il pas été plus judicieux de remonter une œuvre avec laquelle le compositeur avait connu un grand succès, comme Eliza (1794) ? D’autant que la distribution vocale, sans être indigne, n’a rien de renversant. Çiğdem Soyarslan présente, dans le médium, une assez jolie couleur de voix, un peu voilée, mais l’aigu se réduit hélas à des piaillements pas toujours très agréables. Des deux ténors en présence, Johannes Chum a le timbre le plus solidement charpenté, mais Daniel Prohaska s’exprime dans un français plus châtié et manifeste une grande aisance scénique. Les interventions des autres chanteurs sont beaucoup plus épisodiques, à l’intérieur d’ensembles un peu longuets. Voilà donc un DVD dont l’acquisition ne s’imposera qu’aux fanatiques de Cherubini.