L’opéra italien du XIXe siècle est si brillant qu’il a eu pour effet de rejeter dans l’ombre tout ce qui n’était pas lui. Ainsi de la musique sacrée, de la symphonie, ou du répertoire pour voix accompagnée de piano. La « romanza » était pourtant extrêmement populaire dans les salons transalpins, où elle permettait aux jeunes filles de montrer leur aptitude au chant, vaillamment accompagnées par le père ou la mère de famille, qui y voyait une occasion d’améliorer ses rudiments de piano. La production en la matière fut donc abondante. Si certaines de ses mélodies sont signées de noms connus comme Bellini, Catalani ou Leoncavallo, l’album sort des entiers battus en allant dénicher des œuvres beaucoup plus rares. Qui connaît Rotoli, Tirindelli ou Mancinelli, même parmi les lecteurs de Forum Opéra ? Ils ont pourtant tous signés des morceaux remarquables.
On n’ira pas prétendre que ces pièces s’élèvent au niveau du Kunstlied allemand, mais la beauté de l’inspiration mélodique et le dramatisme présent à chaque détour de phrase permettent à l’auditeur de goûter un « mini-opéra », une sorte de zakouski musical, dont on aurait bien tort de se priver. On mentionnera particulièrement les deux morceaux signés Leoncavallo, « Vieni, amor mio », qui donne son titre à l’album, et « Canzonetta di stile antico », ainsi que la « Proibizione » de Bazzini, avec sa magnifique péroraison.
La perspective choisie par Lisa Houben renforce l’aspect opératique du CD. Il y a d’abord la voix de la soprano néerlandaise. Large, puissante, bien timbrée, avec un vibrato que certains jugeront trop prononcé, mais que nous avouons pour notre part trouver diablement séduisant. C’est un vrai instrument de scène que l’on entend à l’œuvre. La chanteuse fut d’ailleurs une inoubliable Lady Macbeth pour La Monnaie de Bruxelles il y a quelques années, ainsi qu’une Léonora de La Forza del destino plus qu’honorable, rendant de la conviction à un rôle souvent sacrifié.
Il y a ensuite l’intensité dramatique mise dans le rendu des partitions : avec une conviction qui bouscule ce que cette musique peut avoir de mondain, Lisa Houben semble chanter comme si sa vie en dépendait. Nombreux sont les moments où on a vraiment l’impression d’être dans Tosca ou Rigoletto. Certains préfèreront une approche plus intimiste, et c’est leur droit, mais une pièce comme « Senza baci » de Catalani, approchée de la sorte, donne le frisson. Sus donc à l’ennui qui guette trop souvent dans ce type de répertoire, voilà un album où la chanteuse semble se consumer en studio comme d’autres le font sur scène.
Il est rare de mentionner l’accompagnateur dans ce genre d’album. Mais Daniel Blumenthal apporte à ces partitions toute la rigueur d’un mozartien d’exception, et son piano parfaitement dosé, apollinien, semble être un roc sur lequel la soprano peut s’appuyer lorsque la houle est trop forte. Une parution intéressante et réussie, à acquérir pour tous les curieux et amoureux de l’italianità.