L’Avant-Scène Opéra accompagne les prochaines représentations de Tristan et Isolde à la Bastille d’une nouvelle édition de son numéro, double à l’origine – 34 et 35 –, consacré au chef d’œuvre de Wagner. Nouvelle discographie, nouvelle vidéographie, nouvelle bibliographie et surtout nouvelle iconographie. Des photos de mises en scène récentes s’ajoutent aux images d’archives ; des reproduction de toiles de maître judicieusement sélectionnées illustrent le texte à propos – Ah, dès la quatrième page, Le Philtre d’amour peint en 1903 par Evelyn de Morgan ! Pour un peu, le plaisir de feuilleter la revue justifierait son acquisition. Ce serait passer à côté de l’essentiel…
Si le Guide d’écoute est inchangé, plusieurs articles inédits ont motivé cette refonte d’un numéro dont la dernière révision datait de 2011. Se livrer à l’analyse de Tristan et Isolde demeure un exercice inépuisable. Un volume ne saurait y suffire. A défaut, les différents regards sur l’œuvre ont le mérite de considérer la question sous des angles complémentaires. Puisque tout ne saurait être dit, au moins trouvera-t-on dans les études proposées matière à nourrir sa réflexion selon l’approche de son choix : littéraire, historique, philosophique, musicale…
Par sa capacité d’introspection, ce numéro de l’Avant-Scène Opéra s’adresse cependant moins au dilettante qu’au wagnérien patenté, à l’arpenteur infatigable de la Colline sacrée, à l’adepte du leitmotiv, au drogué de la dissonance, dût une consommation excessive de chromatismes mettre en péril sa santé mentale. Il faut plus deux pages à Dominique Jameux pour disséquer le fameux accord initial de la partition dont la résolution à la fin de l’œuvre consacre « l’accomplissement du désir ». « On ne pénètre pas dans Tristan comme dans une cour de récréation », avait auparavant prévenu l’auteur du Guide d’écoute.
L’écoute préalable de « la Böhm 1966 » – la version discographique de référence d’après Didier Van Moere – reste donc recommandée ; de même que la lecture du Wagner, mode d’emploi (Premières loges) de Christian Merlin, invité ici à déchiffrer l’énigme de la mélodie infinie.
« Découvrir Tristan, c’est – à chaque représentation – remettre son jugement sur le métier, apprendre à voir et à entendre », témoigne dans le même ordre d’idée Pierre Flinois qui a trempé ses lèvres dans la potion magique en 1965 et qui depuis recherche inlassablement l’ivresse originelle. L’auteur du Festival de Bayreuth (Sand), qui a aussi participé au Guide des opéras de Wagner (Fayard) partage un demi-siècle d’éblouissements et d’inévitables déceptions, mettant ainsi à profit cette assertion de Nietzche : « je cherche en vain une œuvre qui ait la même dangereuse fascination, la même effrayante et suave infinitude que Tristan et Isolde. Le monde est pauvre pour celui qui n’a jamais été assez malade pour goûter cette “volupté de l’enfer”. » Un lecteur averti en vaut deux.
Prochain numéro de l’Avant-Scène Opéra : Le Conte du tsar Saltan de Rimski-Korsakov