Un casting de légende
par Claude Jottrand
La précieuse collection Orfeo d’or restitue depuis 2005 une série d’enregistrements life du Wiener Staatsoper, rassemblés à l’occasion de son cinquantième anniversaire. Cette collection comprend donc les principales œuvres au répertoire de la grande maison viennoise au cours du dernier demi-siècle, ainsi qu’une série de portraits des grands chanteurs qui ont contribué à sa prestigieuse histoire.
Etait-ce un jour de grâce, ce 20 novembre 1976, ou toutes les représentations, au Staatsoper de Vienne, avaient-elles dans les années 1970 cette incroyable intensité musicale, cette palpable tension dramatique ? Car enfin, voilà un enregistrement « live », sans retouche ni remords, d’une seule prise, qui dépasse en qualité bien des enregistrements de studio, et qui réunit la plus belle distribution qu’on puisse imaginer.
Non seulement il y a le velouté somptueux de Gundula Janowitz au sommet de sa forme, l’agilité pétillante, virtuose à l’extrême, presque jusqu’à l’ivresse d’Edita Gruberova, la plus subtile Zerbinette qu’on puisse rêver, l’humour distancé de James King, la voix impressionnante de Walter Berry et la composition très émouvante d’Agnès Baltsa, leur évident plaisir de chanter ensemble, de jouer ensemble. Non seulement il y a un orchestre comme on n’en entend plus, réactif, vif-argent, imaginatif, spirituel en diable, variant les couleurs d’une mesure à l’autre, rebondissant à chaque inflexion de la partition, mais il y a surtout la direction du grand Karl Böhm, qui assure la cohérence musicale et dramatique de l’ensemble, qui donne autant de sens au prologue qu’à l’opéra, de sorte qu’on glisse de l’un à l’autre sans solution de continuité, et qui introduit fort à propos une émouvante dimension métaphysique dans ce qui, mal compris, pourrait n’être qu’une aimable bouffonnerie. Il s’entend merveilleusement aussi à mettre en évidence et rendre limpides les différent plans musicaux de la partition, le contrepoint savant de Strauss qui s’ingénie à superposer les textes, les lignes et les genres musicaux, au risque de la plus grande confusion.
Il y a fort à penser que cette exceptionnelle réussite tant musicale que dramatique, on la doit à la relative modestie des mises en scène d’alors (la brochure qui accompagne ce coffret en donne quelques images assez parlantes),comparées à celles d’aujourd’hui ; à travers des décors et costumes d’époque, sans transposition, sans réactualisation, elles ne cherchaient pas autre chose que la représentation littérale du livret, et dès lors, mettaient les chanteurs en situation de grand confort et de grande cohérence dramatique. C’est au chef et aux solistes qu’il incombait alors de créer la tension dramatique, de donner le sens de l’œuvre, par des moyens exclusivement musicaux, et donc bien palpables au disque. Je ne sais trop ce qu’en pensait le spectateur de l’époque, mais l’auditeur d’aujourd’hui, lui, est comblé.
Une version de référence !
Richard STRAUSS
Ariadne auf Naxos
Opéra en un acte et un prologue sur un livret de Hugo von Hofmannstahl
Créé à Vienne le 4 octobre 1916 (2ème version)
Haushofmeister
Erich Kunz
Muzieklehrer
Walter Berry
Komponist
Agnes Baltsa
Bachus / Tenor
James King
Ariadne / Primadonna
Gundula Janowitz
Zerbinetta
Edita Gruberova
Harlekin
Barry MCDaniel
Scaramuccio
Kurt Equiluz
Truffaldin
Manfred Jungwirth
Brighella
Gerhard Unger
Najade
Hilda de Groote
Dryade
Axelle Gall
Echo
Sona Ghazarian
Orchestre du Wiener Staatsoper
Direction
Karl Böhm
Enregistré au Wiener Staatsoper, le 20 Novembre 1976
2 CD Orfeo C817 1121 – 122’05