Comme un triste phare, perdu au milieu d’un champ de solitudes, brille la Winterreise de Schubert. Reise… Voyage… Exil d’un cœur, aux côtés de la mort, des rêves et des chimères du passé. Entreprendre le voyage d’hiver, c’est accepter de tout abandonner, et se laisser emmener au centre de la dépression, de l’introspection, au plus profond de soi et du monde… Combien de fois ce cycle a-t-il été offert au disque ? Combien de voyages différents, souvent magnifiques, avec Fisher-Dieskau, Hotter, Pears, Schreier, Bostridge et tant d’autres, accompagnés par Moore, Demus, Britten, … ? Enregistrer la Winterreise est un projet sublime, mais d’une exigence absolue. Au milieu de ces innombrables versions, le voyage de Steve Davislim et d’Anthony Romaniuk nous propose-t-il vraiment quelque chose de neuf?
Le piano de ce dernier fait penser à Leif Ove Andsnes: une approche analytique, soulignant, parfois avec excès, les nuances et les inflexions. Hélas, tout cela se fait plusieurs fois au détriment de la musique. Malgré un jeu de qualité, on peine à se laisser couler dans cette lecture qui alterne des passages profondément émouvants avec d’autres moments beaucoup moins poétiques.
Une poésie qui fait bien défaut à Steve Davislim. Si l’on est un peu surpris par cette voix au timbre riche mais passable dans ce répertoire, aux attaques parfois nasales, où tout est assez dur, le problème se situe d’abord au niveau de l’interprétation. Non qu’elle soit inexistante: au contraire, les propositions sont nombreuses. Mais cette admirable recherche (qui emprunte à Fischer-Dieskau à plusieurs reprises, on ne l’en blâmera pas) tourne court: trop souvent. Sa réalisation semble artificielle, les idées surajoutées; les sentiments, trop extériorisés, ne sont pas vécus, comme si, au lieu de nous faire voyager, le ténor nous expliquait, froidement, ce qu’il projette de faire.
Et c’est finalement l’impression que laisse l’écoute de cette Winterreise: un froid, mais bien différent de celui qu’on voulait ressentir. L’impression que le duo est passé à côté de son voyage d’hiver, en ne parvenant jamais à captiver réellement, malgré plusieurs beaux moments. On ne peut leur reprocher un manque d’engagement; mais la musicalité est ici trop fabriquée pour nous embarquer pleinement. Qu’on s’entende bien : ce n’est pas un mauvais disque, mais plutôt un coup d’épée dans l’eau, laissant aux oreilles une impression d’inachevé, de vide… Le fruit, pourtant prometteur, a-t-il été cueilli trop tôt ?
Christophe Schuwey