Chers lecteurs, si on vous fait entendre « La cantate du café » ou « L’air du riz », vous identifierez sans doute facilement leurs auteurs respectifs. Pas d’hésitation, le Mozart des champignons, selon le cygne de Pesaro, c’est la truffe. Dans ce livre de cuisine destiné aux mélomanes, vous découvrirez aussi quelques secrets mieux gardés, comme celui de la provenance du marzinino, le vin de Don Giovanni, toujours trouvable en Italie ! Et, si la truite vous évoque forcément Schubert, saviez-vous que les schubertiades notoirement bien arrosées étaient égayées par des lancers de saucisses ?
Toutefois, ces savoureuses historiettes autour de compositeurs gourmands, gourmets, voire goinfres, ne sont pas le cœur du sujet. Sans quitter son univers musical de bon aloi, l’éditeur Buchet-Chastel a récemment concocté pour le plaisir des palais gourmands un délicieux livre de recettes réorchestrées et mises en assiette par Michel Portos, un chef étoilé épris de musique qui a le vent en poupe. Vous y trouverez dix menus (entrée, plat et dessert), s’inspirant directement de ce que l’on sait des habitudes alimentaires et des préférences gustatives de dix musiciens géniaux. Qualifié ici de « bambocheur esthète », Moussorgski n’affirmait-il pas que composer, c’était cuisiner ?
Si vous aimez vous mettre aux fourneaux — ne serait-ce que par l’imagination — vous pourrez juger sur pièce. Bien évidemment, il a paru inutile de donner la célèbre recette du tournedos Rossini, musicien « gastrolâtre extravagant » qui, dans son vieil âge, s’amusait à régaler les oreilles de ses admirateurs d’une « Petite valse à l’huile de ricin » ou d’un « Hachis romantique ». En revanche, vous pourrez réaliser, à moindre frais, le rustique tournedos Verdi, considéré comme un « gastronome bien tempéré ». Quant aux gnocchis à la cannelle de Georges Sand que Chopin adorait, ils vous donneront une idée du parfum des plats authentiques cuisinés à Nohant. Et, bien qu’en son temps, Eric Satie ait choqué le bourgeois avec son répugnant « Dîner blanc », couvert de moisissures et ses absurdes titres de mélodies comme «Le Chant Guerrier du roi des haricots» ou «Trois morceaux en forme de poire», vous aurez sans doute envie d’essayer la recette de boudins blancs accompagnés de crosnes. Avec Henri Dutilleux, musicien contemporain mort en 2013, un charmant homme qualifié ici de « sybarite exquis », l’ouvrage s’achève sur des notes particulièrement jouissives.
Des pistes discographiques et une bibliographie pertinente classent ce livre à la fois aux rayons musique et cuisine. Seul bémol, des images inégales pas toujours aussi appétissantes que l’on voudrait. En revanche, avec sa préface sous forme d’une lettre adressée à Nathalie Krafft, auteur de ces textes bien documentés, le comédien Michel Blanc ajoute un fort joli grain de sel. En plus du sommelier, il propose de faire officier dans les restaurants gastronomiques, un « musiquelier », qui guiderait les convives sur le choix d’une œuvre en harmonie avec leur commande — à moins que pour certains mets il ne conseille expressément le silence !