C’est le Simon Estes de la pleine maturité que ce CD, enregistré en 1984 et paru alors chez Philips, nous permet de retrouver.
Avouons-le d’emblée : nous sommes un fan absolu de ce chanteur qui nous combla dans les années 1980 par ses incarnations wagnériennes. Nous eûmes la chance de l’entendre dans un magnifique Fliegende Holländer aux Chorégies d’Orange puis dans le Wotan de Rheingold à Bordeaux.
Nous retrouvons dans le présent CD les trois rôles wagnériens qui firent la gloire du baryton-basse américain : le Hollandais, Wotan et Amfortas.
Si l’on connaît son Hollandais et son Amfortas par le biais de magnifiques intégrales (le Fliegende Höllander dirigé par Woldemar Nelsson et le Parsifal du centenaire à Bayreuth dirigé par Levine, tous deux chez Philips), son Wotan est une aubaine car il ne figure dans aucune intégrale du Ring alors qu’Estes a incarné le rôle de nombreuses fois sur scène (notamment dans le Ring du Met où James Morris lui fut préféré pour l’enregistrement CD et DVD).
Simon Estes s’y montre dans toute sa splendeur : timbre magnifique, mâle et d’un bronze ardent, solidité et égalité des registres allant d’un grave caverneux (le début du monologue de Wotan) à un aigu héroïque (les « Erbame ! » d’Amfortas) en passant par un medium richement timbré, lyrisme éperdu de la ligne de chant… Le chanteur a quelque chose de magnétique sinon d’hypnotique. Sur le strict point de vue vocal, c’est donc à se damner.
Du côté de l’interprétation, on pourra trouver Estes plus à son avantage dans les intégrales où, porté par le théâtre, il se montre tout à fait captivant. Ici, on pourra le trouver plus sage et ce, malgré les quelques répliques de Brünnhilde ou de Titurel puisqu’il s’agit ici de véritables scènes et pas seulement d’airs (si tant est que l’on puisse parler d’air chez Wagner).
Surtout, il manque un chef d’envergure qui aurait transfiguré ce récital. Heinz Fricke est pourtant loin d’être indigne, il crée même une belle ambiance au début du monologue de Wotan. Mais il manque juste ce « plus », ce souffle, cette profondeur que Furtwängler, Böhm ou Boulez ont, par exemple, offerts à la lecture des ouvrages wagnériens. Nous avons cependant là toutes les qualités d’un kappelmeister, et c’est déjà beaucoup.
L’orchestre, la Staatskapelle Berlin d’avant la chute du mur, est superbe de timbres et de tenue. Bon apport d’Eva-Maria Bundschuh en Brünnhilde, plus discutable par contre le Titurel du trémulant Heinz Reeh.
Malgré ces petites réserves, il n’en reste pas moins que ces enregistrements représentent un témoignage essentiel de l’art du chant wagnérien.
Pierre-Emmanuel Lephay