Il y a des CDs qu’on aimerait feuilleter comme un livre, et y revenir en marquant les pages. Cet enregistrement de mélodies de Fauré en fait partie. On se surprend à l’écouter avec la même attention et le même plaisir qu’on attache à la lecture de Proust (qui aimait beaucoup Fauré), avec le même recueillement rêveur et l’oreille toujours aux aguets.
Le CD édité par Timpani est, en soi, un bel objet. Le livret est bien documenté et le texte de Guy Sacre, qui place cet enregistrement sous le signe des larmes, de la pluie et des embruns fauréens, est si beau qu’il met l’eau à la bouche.
Billy Eidi et le baryton Jean-François Gardeil nous avaient accoutumés à une belle complicité autour de la mélodie française. C’est cette même connivence que l’on retrouve ici avec plaisir entre le pianiste et Yann Beuron : un piano profond et subtil qui sait émouvoir et amuser, raconter et commenter en totale harmonie avec un ténor immédiatement sympathique, qui possède une voix claire et une émission franche et naturelle, et cette passion légèrement distanciée qui sied si bien à la mélodie française. Tous deux nous conduisent de la Bretagne de Richepin, dont Fauré habille si bien les paysages un peu convenus, à l’élégante Venise visitée par Fauré, qui trouve en Verlaine la plus belle de ses inspirations, jusqu’à ces mélodies ultimes de 1906, dépouillées et tellement touchantes en leur dénuement. Les premières mélodies (Larmes, Cimetière dont l’intériorité dramatique est difficile à bien dessiner) semblent laisser Yann Beuron un peu indifférent, même si sa voix d’opéra s’y épanouit à merveille. C’est dans les cinq Mélodies de Venise que s’exprime pleinement sa belle personnalité. Son chant y est d’un raffinement dénué de toute affectation, sa diction est exemplaire. Il sait colorer ces musiques de nuances toujours justes, de pianissimi soutenus, aussi expressifs dans les aveux et les émois susurrés que dans les fièvres de la passion. Ecoutez la belle atmosphère de Sourdine et la tendre douceur chuchotée du vers final, l’ambiguïté tonale des « correspondances » poétiques de Clymène jusqu’au bel « ainsi soit-il » , et l’exotisme du Parfum Impérissable au rythme cadencé par cette succession d’accords aux ton graves.
Le CD s’achève par les deux dernières mélodies de 1906 dont la Chanson d’Henri de Régnier qui commence par une réminiscence de Mandoline (Op. 58) mais dont les croches semblent s’égrener de manière plus fragmentée, comme une question sans réponse, que seul l’accord final parvient à apaiser dans le regard de l’être aimé.
Un disque de chevet !
Marcel Quillévéré