Les documentaires historiques sont à la mode : les différentes chaînes câblées en déversent à longueur de soirée, sur les sujets les plus divers, des Pyramides aux amours de Louis XV, avec leurs armées de figurants, leurs prises de vues spectaculaires et leurs experts plus ou moins autorisés qui rivalisent de formules accrocheuses. La qualité est variable, et dépend essentiellement de trois facteurs : la présence d’un fil rouge, la pertinence des intervenants et la richesse du matériau audio-visuel. Trois éléments qui sont présents dans ce film de Patrick Cabouat et qui expliquent sa réussite.
L’existence d’un fil rouge d’abord. Au milieu de tant de films qui ne disent rien à force de vouloir parler de tout, le réalisateur a choisi d’angler son propos sur les circonstances historiques de la construction et plus précisement sur le caractere novateur du bâtiment conçu par Charles Garnier, ainsi que la facon dont il reflète la société du Second Empire. Tout s’explique dans un enchaînement logique imparable : le choix d’un jeune architecte prometteur par un Empereur qui privilégie la relation personnelle, les affres de la construction et l’idée du lac souterrain, la vie des loges et leur rôle social, la monumentalité des espaces publics, les exigences de sécurité, … La trame nous montre aussi très bien la facon dont la IIIe République, après le désastre de 1870, reprend à son compte tous ces éléments, et termine le bâtiment en n’en changeant finalement qu’un adjectif, « impérial » devenant « national ».
Les intervenant s’attachent à expliciter tous les tenants et aboutissants de cette épopée, avec une érudition qui change des experts auto-proclamés qui polluent trop de réalisations de ce type. Chacun maîtrise son sujet, et parvient à faire passer son savoir sans pédanterie. Les éclairages de Thimotée Picard, critique bien connu, et de Paul Perrin, conservateur à Orsay, sont particulièrement bienvenus.
Pour ce qui est de la richesse des images, le réalisateur a eu la partie plus facile : l’œuvre de Garnier, 150 ans plus tard, reste un choc esthétique d’une telle ampleur qu’il suffit de la montrer pour produire un effet de transe chez le spectateur. Le montage de Francesca Melani trouve une forme d’équilibre, parce qu’elle semble comprendre que déverser trop de beauté d’un seul coup peut avoir un effet suffocant, et elle dose à merveille les prises de vue, alternant avec bonheur les plans larges et les détails. Ceux-ci permettent de rendre hommage aux innombrables peintres, sculpteurs, mosaïstes qui ont travaillé main dans la main avec Garnier. Les extraits musicaux sont de qualité, mais, et c’est la seule faiblesse du film, les moments lyriques filmés sur scène se limitent à une Traviata de Verdi chantée par Diana Damrau. Quand on connait les très riches heures de l’Opéra de Paris, particulièrement durant la période Liebermann, tant de frugalité peut avoir quelque chose de frustrant.