Projet séduisant, s’il en est, que de concentrer l’immense Tristan et Iseult en moins d’une heure, en ramenant l’opéra de Wagner à un récitant et une soprano et en ne gardant qu’un orchestre de solistes. Un tel dessein ne peut viser qu’une sorte de sublime : capturer la quintessence de l’œuvre ou, du moins, nous en proposer une autre vision. L’ensemble Carpe Diem parvient-il à nous concocter un philtre qui concentrerait toute la puissance du chef-d’œuvre ?
Plusieurs éléments empêchent hélas le rêve de se réaliser. L’adaptation du livret par Vincent Figuri – notons, au passage, qu’elle nécessite une connaissance préalable du livret de Wagner – ne nous convainc pas tout à fait. Hésitant entre l’allusion diaphane et la description de l’action, il alterne quelques beaux traits de plume avec d’autres moins heureux, tels que le « Ne connais-tu pas le pouvoir de Dame Amour ? Elle m’ouvre les voies que tu me fermes ! ». Mais plus que l’adaptation elle-même, c’est l’interprétation de Lambert Wilson qui bride le tout. Dans son implication hallucinée, il ne parvient pas à trouver le ton juste, et ses nombreuses interventions paraissent surfaites, l’empêchant de rejoindre, comme l’huile et l’eau qui ne se mélangent pas, le plan dramatique et musical tissé par l’orchestre. Il faut ici se souvenir de ce qu’Ozawa avait fait avec Judi Dench dans le Midsummer Night’s dream de Shakespare / Mendelssohn, se rappeler ce final – «Through the house, give glimmering lights… » – pour se rendre compte du miracle que peut opérer le couple musique – récitation.
L’acteur ne parvient pas non plus à trouver un terrain commun avec Christine Schweitzer, l’Iseult de cette version, de sorte que leurs échanges ressemblent à des dialogues de sourds. C’est d’autant plus dommage qu’on aimerait entendre la soprano plus souvent qu’au gré des quelques trop courtes interventions et du Liebestod, car, dans ce contexte chambriste du moins, elle fait preuve, malgré quelques duretés, de qualités remarquables, interprète d’une urgence qui ne se dément jamais.
Quant à l’orchestre, il faut saluer la beauté du jeu de chacun des solistes, sans exception, ainsi que l’intelligence du travail d’adaptation de la partition. Jean-Pierre Arnaud a su répondre à presque tous les défis représentés par l’effectif réduit, et certains passages, dans leur expression d’une décadence profonde, sont sublimes. Reste pourtant la problématique des sommets orchestraux, où soudain, on entend tout simplement qu’il «n’y a pas» le matériel, sans qu’autre chose n’émerge. Et si le disque est loin d’être raté, si les beaux moments qu’il offre en valent bien l’écoute, il ne parvient pas au sublime qu’il devait viser.