Certaines compositions religieuses d’Hector Berlioz, à l’instar du Te Deum, du Requiem ou encore, de L’Enfance du Christ, représentent indéniablement des œuvres que d’aucuns pourraient taxer de mineures, voire de marginalisées dans le legs musical du compositeur. Pourtant, si elles n’égalent pas – mais le devraient-elles ? – les compositions lyriques magistrales que sont Les Troyens, Benvenuto Cellini ou Béatrice et Bénédict, leurs mérites respectifs sont indéniables et le Te Deum présenté ici n’échappe en cela pas à la règle. Son Requiem ou Grande Messe des morts, opus 5, composée en 1837 et créé aux Invalides en décembre de la même année, remportera un vif succès. Le Requiem scellera la magnificence de la partition et la grandiloquence de l’orchestre au rang des œuvres dites architecturales du compositeur. Son orchestration massive, notamment des ensembles de cuivres, timbales et bois, créera un ensemble monumental impressionnant, dont l’équilibre instrumental est pourtant saisissant. La longue gestation de L’Enfance du Christ, oratorio ou trilogie sacrée, créée en 1854 à la Salle Herz à Paris, permettra à Hector Berlioz de retrouver non plus un succès d’estime à Paris, après la cuisante défaite médiatique de La Damnation de Faust, mais une forme de réhabilitation artistique dûment justifiée. L’œuvre brillera par une spiritualité revisitée, une finesse dans le traitement des soli (les pizzicati des cordes), dont se dégage une douce quiétude musicale d’ensemble qui vaudra au compositeur une franche reconnaissance de la critique. Quant au Te Deum, opus 22, il fut créé le 30 avril 1855 à l’Eglise Sainte Eustache à Paris, sous la direction du compositeur.
Enregistré dans la grande salle de l’Alte Oper de Francfort en février 1988, avec le Frankfurt Radio Symphony Orchestra, placé sous la direction d’Eliahu Inbal, il inclut fort heureusement le Prélude et la Marche pour la présentation des drapeaux. L’enregistrement d’Eliahu Inbal est certainement l’un des plus aboutis sur le plan de la cohésion instrumentale et vocale. L’insolente beauté de l’orgue, conduit avec panache par Matthias Eisenberg, rehausse la structure orchestrale d’ensemble sans toutefois en augmenter son volume : l’instrument devient ici un pendant naturel au chœur et à l’orchestre, en le soutenant habilement. L’orgue trouve le juste équilibre dans ce subtil dosage et sans tisser un fil d’entrave dans le processus dynamique de l’œuvre, il le soutient habilement. Le fort abouti Te ergo quaesumus, le solo du ténor est interprété par Keith Lewis : la prière surgit ici tel un faisceau de lumière qui apporte une lente diversion vocale et symphonique, suivant la grandiloquence de l’hymne Christe, Rex gloriae et qui précède le puissant Judex crederis (hymne et prière.) Voix charnue et superbement timbrée, Keith Lewis livre une magnifique interprétation de la prière. Tout au plus, pourrait-on lui reprocher un haut medium un peu nasillard. Quant aux chœurs, il convient de saluer la prestation d’ensemble, notamment la splendide cohésion des chœurs d’hommes, qui confèrent ici une couleur particulièrement chatoyante et homogène, idéale dans ce Te Deum à l’essence quelque peu plus intimiste, moins monumentale – sur le plan orchestral notamment -, que les autres œuvres religieuses dites architecturales ou monumentales d’Hector Berlioz. Le Prélude et La Marche des drapeaux, souvent occultés des enregistrements, sont ici restitués dans une lecture dynamique et brillante par Eliahu Inbal. Sa direction d’orchestre mérite d’être saluée, car elle restitue une vision plus intimiste de ce Te Deum qui, grâce à son approche contenue et subtilement maîtrisée, nous offre une interprétation plus humaine, plus fraîche et surtout, judicieusement menée.
Claude-Pascal PERNA