Georg Solti a laissé dans sa discographie au moins trois versions du Requiem de Verdi, enregistrées sur une période de 20 ans : en 1977, chez RCA, il dirige le Chicago Symphony Orchestra avec Leontyne Price, Janet Baker, José Van Dam et Veriano Lucchetti ; dix ans avant (1968), il grave l’œuvre pour Decca avec une distribution de stars (Joan Sutherland, Marilyn Horne, Marti Talvela, Luciano Pavarotti) ; enfin, héritage encore antérieur d’une décade, la firme IDIS (Institut Discographique Italien) diffuse, quelques mois après Andromeda, un enregistrement de la soirée du 17 novembre 1958 à Cologne. Solti, alors âgé de 47 ans, est déjà installé parmi les meilleurs chefs de l’époque et vient de graver son premier Rheingold. Le flacon proposé par l’éditeur milanais est bien pauvre, mais qu’importe, vu l’ivresse que l’on ressent sous la baguette du chef hongrois.
Malgré la qualité médiocre de la prise de son (son voilé, bruit de fond à peu près permanent, coupure au début du Lacrymosa…), l’équilibre entre les pupitres est magnifique (quels vents !) et, dans un orchestre sous tension, les détails orchestraux ressortent avec clarté. La lecture de Solti est résolument théâtrale et dramatique, et ses choix de tempi mettent en lumière le relief de la partition : le « Kyrie » est pris à un rythme de sénateur, mais c’est un « Dies Irae » endiablé qui lui fait suite ; le « Lacrymosa » sera lui aussi très lent.
Les solistes, avec leurs forces et leurs faiblesses, adhèrent à la démarche. Tous ne sont pas irréprochables mais l’ensemble est convaincant : Niccola Zaccaria est théâtral et musical à souhait, sans en faire trop (« Confutatis »). Le ténor Giuseppe Zampieri, largement oublié aujourd’hui malgré une carrière des plus respectables (membre du Staatsoper de Vienne, il a chanté sur les plus grandes scènes) livre un « Ingemisco » de bonne tenue et on ne peut s’empêcher de penser que les théâtres d’aujourd’hui se l’arracheraient… Le legato de velours d’Oralia Dominguez, qui avait déjà enregistré le Requiem, sous la direction De Karajan quatre ans plus tôt (chez Orfeo), domine le quatuor et invite à redécouvrir la mezzo mexicaine dont le répertoire allait de Rossini à Wagner ! Le point faible du quatuor est la soprano néerlandaise Gré Brouwenstijn : si le choix de sa voix dramatique est cohérent avec l’ensemble du projet, son timbre n’est pas exempt de raideur et de notes détimbrées, parfois carrément basses (tous les aigus du « Libera me » !).
Ce double CD est donc un témoignage passionnant de l’art de Georg Solti. Le chef entretenait d’ailleurs avec la Messe de requiem de Verdi un rapport très personnel … il est décédé en 1997 quelques jours avant d’en donner une nouvelle interprétation, aux Proms de Londres.
Jean-Philippe Thiellay