Son nom n’est pas le premier à venir à l’esprit quand on cite les meilleurs ténors du moment et pourtant il mérite, autant – voire plus – que d’autres, de figurer en tête du classement. A 52 ans, l’automne et même le début de l’hiver pour un chanteur de sa catégorie, Ramón Vargas se présente avec un nouveau récital au disque dans une forme éblouissante. De Mozart par lequel il débuta, il a gardé l’élégance de la ligne, la souplesse du phrasé, une gestion du souffle qui, combinés à un timbre naturellement flatteur, continuent de donner à son chant une tenue princière. Avec Rossini qui occupa ensuite un large pan de son répertoire, il a acquis une science des effets, une technique solide qui lui sert aujourd’hui de fondement. Devenu ténor lyrique après avoir joué dans la cour di grazia, il semble avec ce nouvel album envisager l’étape suivante, oser le spinto qui, pour beaucoup, représente le couronnement d’un parcours lyrique, au risque de s’y brûler les ailes ou du moins d’endommager un capital précieux.
Pas encore Otello mais déja Calaf dont le « Nessun dorma » s’il est interprété avec suffisamment de puissance peut mettre le feu au stade. Si remarquable soit-il, le chant de Ramón Vargas n’a pas ce pouvoir-là. Lui fait défaut, plus que le volume impossible à apprécier au disque, l’énergie avec laquelle le « Vincero » final doit frapper, comme un coup de poing à l’estomac. Le ténor le reconnait : amateur de boxe, il sait qu’un poids moyen doit refuser la compétition dans la catégorie supérieure s’il veut ne pas se blesser. Son intention n’est pas d’inscrire Turandot un jour à son palmarès scénique. Disons qu’il se fait plaisir. Pourquoi pas mais sur un programme de seulement douze titres, on aurait préféré qu’il s’en tienne à son répertoire d’excellence. Rodolfo plus que Cavaradossi qui, sans être indigne – il faudrait être sacrément difficile tout de même pour faire la grimace – ne se situe pas non plus exactement dans ses cordes. « Recondita armonia », passe encore ! La séduction immédiate de la voix rachète la faiblesse – relative – de l’exaltation amoureuse, cette bouffée de sensualité qui doit envahir l’auditeur en même temps qu’elle submerge l’amant de Tosca, perdu dans la contemplation de son souvenir amoureux. Mais, trois numéros plus loin, «E lucevan le stelle » manque et d’ombre et de métal pour prendre aux tripes, même si là comme toujours le timbre, la précision du trait, les nuances sont remarquables. Ramón Vargas heureusement ne cherche pas à compenser par une surenchère d’intentions ce que la nature ne lui a pas donné.
Les airs français souffrent d’une prononciation qui, sans avoir jamais été exemplaire, a pu paraître d’autres fois mieux contrôlée. Dommage car Werther et les deux Faust s’approcheraient sinon de l’idéal. Berlioz (« Nature immense »), contrairement à Puccini ou à Ponchielli (« Cielo e mar ») atteint même cette intensité vers lequel l’air tend implacablement. Les extraits d’I due Foscari et de Simon Boccanegra confirment l’affinité avec Verdi qui est, de son propre aveu, le compositeur favori de Ramón Vargas. Il n’y a rien à redire à ce Jacopo châtié dont un précédent album – Verdi Arias (2001) – présentait une première facette. Gabriele Adorno apparait encore plus magistral, restitué fidèlement dans son dilemme sentimental, sans que jamais la charge émotionnelle ne fasse vaciller la ligne. A ce même niveau d’excellence se rangent le Faust de Boito et le Federico de Cilea, l’un et l’autre rendus inégalables par la maitrise de la demi-teinte. De telles prouesses, servies par la direction de Riccardo Frizza à la tête de Budapest Symphony Orchestra, suffisent à faire de ce récital un disque hautement recommandable. Un répertoire mieux adapté et un programme plus original auraient pu le rendre indispensable.